Près de cinq ans après l’admirable Emploi du temps qui revenait sur l’affaire Romand, Laurent Cantet aborde un sujet tout aussi ambitieux : le tourisme sexuel. Né d’un désir de rapprocher une nouvelle fois l’intime du politique, Vers le sud est un film bien trop sage et ampoulé pour provoquer une réelle réflexion sur cette nouvelle expression du néocolonialisme.
Au début des années 1980, Brenda (Karen Young), Américaine blonde et claire de peau, débarque en Haïti pour y passer des vacances ensoleillées. Seule et silencieuse, elle arpente les rues pauvres de Port-au-Prince dans un vieux taxi qui la conduit dans un petit hôtel de bord de mer. Là-bas, elle y retrouve deux autres femmes de son âge (environ la cinquantaine) mais surtout Legba (Ménothy César), un jeune éphèbe noir de 18 ans avec lequel elle vécut son premier orgasme… trois ans plus tôt. Mais entre temps, l’adolescent est devenu le « favori » d’Ellen (Charlotte Rampling), une quinquagénaire professeur d’université à Boston, qui n’hésite pas à lui donner de l’argent et à le couvrir de cadeaux en échange de nuits d’amour fiévreuses.
Pour son troisième long métrage de cinéma, Laurent Cantet − auteur des admirables Ressources humaines et L’Emploi du temps − a une nouvelle fois choisi de confronter l’intime au politique. Mais ici, la chaîne de montage a laissé place à une plage de sable doré. Les patrons sont remplacés par des quinquagénaires aisées et frustrées et les ouvriers par de jeunes garçons noirs que la misère a poussés à la prostitution. Transition risquée pour un réalisateur qui a construit sa renommée sur son acuité à saisir les réalités du monde du travail. Pourtant, à aucun moment Vers le sud ne perd cette ambition de mettre en opposition les « dirigeants » et les « dirigés ». La première scène l’explicite d’ailleurs très clairement : une femme noire tente de vendre sa fille au maître d’hôtel venu chercher Brenda à l’aéroport. Sous la coupe d’une dictature féroce, les Haïtiens n’ont donc plus d’autre choix que de monnayer le peu qu’il leur reste, c’est-à-dire eux-mêmes. Constat terrible dont s’accommodent fort bien Brenda, Ellen et la Québécoise Sue (Louise Portal), Blanches issues de différents pays du Nord, pour qui cet hôtel est une sorte de petit paradis coupé de toutes les réalités sociales.
Pour sensibiliser le grand public à la question, Laurent Cantet a volontairement choisi de rendre la question de la prostitution plus acceptable. À l’opposé des clichés les plus sordides, ici, ce sont des femmes qui entretiennent de jeunes hommes consentants et majeurs. On est tout de même loin du touriste blanc venu « s’amuser » dans un lieu sordide de Bangkok avec une gamine de huit ans donnée par des parents désespérés. Du coup, Vers le sud évacue le plus gros du malaise (le tourisme sexuel rime souvent avec pédophilie) et n’accorde qu’une place mineure au ressenti des jeunes prostitués. Le film préfère se ranger du côté des Occidentaux en s’attardant à comprendre ce qui a pu pousser trois femmes parmi d’autres à incarner si vivement cette forme de néocolonialisme dont nos sociétés occidentales s’abreuvent. Leur principal point commun est bien évidemment cette frustration sexuelle qu’elles vivent chacune à leur manière. Brenda est la plus torturée. Au bord de la folie, elle rêve de romantisme comme une jeune fille en fleur. Sue est une montagne d’insouciance, souriante et avenante (forcément, elle vient du Québec). À l’opposé, Ellen est cynique et désabusée, n’a que du mépris pour l’attendrissement (forcément, elle est américaine). Chacune aura sa scène, en regard caméra, pour nous expliquer les raisons qui les ont poussées à s’échouer sur cette plage paradisiaque entourée de garçons qui pourraient être leurs enfants (voire leurs petits-enfants).
C’est à partir de là que Vers le sud, adapté de trois nouvelles de l’écrivain haïtien Dany Laferrière, succombe à cette tentation − pourtant détestable − du bavardage qui sied si mal au cinéma français. Tout est à entendre − trop clairement − mais il n’y a, en fait, rien à voir. Privé de chair, ce troisième film de Laurent Cantet s’écarte progressivement de son sujet et pêche par sa prétention à saisir toutes les contradictions de la sexualité féminine des pays riches. Aucun mystère, aucune fièvre, pas même un flottement ne vient ponctuer ce récit froid et prévisible. Les dialogues, trop écrits, ne sont là que pour baliser ce film trop sage, effrayé par l’ampleur de son sujet. Tout au plus aura-t-on frémi en entendant Ellen dire froidement qu’elle « n’aime pas les nègres de Harlem ». Le racisme latent sera tout juste contenu dans cette phrase. Du politiquement correct, en somme.