Adapté du roman Confessions d’un gang de filles de Joyce Carol Oates, Laurent Cantet se frotte à l’exercice périlleux de la chronique rétrospective, à travers le parcours émancipateurs de six jeunes filles dans les États-Unis des années 1950. Si le tout est confectionné avec une certaine science, il manque justement à Foxfire de cette folie qui animait les jeunes filles, et un engagement à la hauteur de ce combat profondément idéologique.
On voit bien ce qui a pu attirer Laurent Cantet dans ce roman. Foxfire, c’est l’histoire d’une révolte. Une révolte spontanée pour la liberté des femmes, qui éclate à la gueule de cette société américaine des années 1950, à l’heure où l’on tente d’étouffer la naissance du mouvement pour les droits civiques. Il y a donc, dans ce récit, une façon de traiter de biais la « grande Histoire », comme une toile de fond, un terreau propice aux libérations. La création du gang Foxfire renvoie elle-même aux grands rites d’entrée dans les sociétés secrètes, et se trouve être l’ébauche d’une minuscule structure terroriste.
C’est tout le sens premier de l’action de ce gang de filles : cracher à la face du monde cette colère, en s’attaquant aux figures paternalistes de l’époque. Si Cantet s’en sort honorablement pour définir les interactions entre les personnages – la façon dont cette révolte infuse en chacune d’elle – il en reste malheureusement à cette ébauche. Il est toujours difficile de déployer une histoire à grande échelle – celle d’un vent de liberté qui gagne peu à peu tous les États-Unis – à travers un groupe de personnages, car chacun doit nécessairement représenter un échantillon de la société, ce qui limite forcément le discours du film. Un discours qui se veut, bien sûr, nuancé et tout en contrepoints, mais qui gagnerait à se déployer de manière plus acharnée.
Car le film reste prisonnier d’un certain vernis de la reconstitution, et d’une soumission au récit classique (chronologie des événements, illustrations du lien cause/effet) qui l’empêche de déborder, là où foisonnent pourtant les transformations – d’un petit gang de quartier, les Foxfire deviennent l’étendard féministe du coin, avant de constituer une communauté auto-suffisante retirée dans une grande demeure, puis de virer au banditisme révolutionnaire. Cantet échoue également dans la transposition de sa méthode de travail sur Entre les murs, basée sur l’improvisation et la reformulation. Prise dans l’étau de la reconstitution et d’un récit signifiant – trajectoire montante puis descendante des personnages, comme un aveu d’échec formulé dès le début du film par la narratrice – cette méthode ne réussit à produire que des images déjà vues ici et là, impression renforcée par un montage enfilant les séquences comme des perles au son (agréable) du groupe canadien Timber Timbre. Reste le personnage de Legs, cheftaine du groupe, portée par une inconnue nommée Raven Adamson, dont l’énergie douce et troublante – sorte de force à la fois tranquille et survoltée – se trouve être le fil rouge auquel on veut bien s’accrocher, même lorsque toutes les portes du récit se referment une à une.