Après C.R.A.Z.Y., son premier long à être arrivé dans nos contrées, le réalisateur québécois convoque dans Café de Flore deux lieux et deux époques pour revisiter le mythe des âmes sœurs. De 1960 à aujourd’hui, entre Paris et Montréal, s’entrecroisent le destin de Jacqueline, mère célibataire d’un fils trisomique, et celui d’Antoine, homme marié et père de deux enfants dont la vie bascule lorsqu’il rencontre Rose. À la manière de Mr Nobody, Café de Flore brouille l’espace et le temps, les rêves et la réalité, pour une fresque amoureuse ambitieuse. Mais vouloir n’est pas réussir, et le penchant ésotérique du film s’avère dangereusement glissant.
Dans le Paris des années 1960, Jacqueline est heureuse. Elle attend un enfant. Mais à la naissance, son fils Laurent est diagnostiqué trisomique. Déboussolé, le père du petit garçon la quitte. Seule, elle affronte la maladie, refusant bec et ongle le pronostic pessimiste des médecins. Pugnace, jamais à cours d’idées pour stimuler Laurent, Jacqueline s’oublie dans son amour maternel. A Montréal de nos jours, Antoine est heureux. Marié à Carole, son amour de jeunesse qui lui a donné deux enfants, il incarne l’idéal d’une vie réussie. Mais au détour d’une soirée, il fait la connaissance de Rose. Coup de foudre, divorce, conflit intérieur. Antoine n’a‑t-il pas tout perdu pour un simple coup de cœur ?
La trame narrative de Café de Flore, deux amours passionnées en miroir, ne brille pas par son originalité. Mais le traitement choisi par Vallée a de quoi surprendre. Éclatant son récit comme un puzzle à reconstituer par le spectateur, le metteur en scène anéantit la notion de réalisme dès les premiers instants du film. Cauchemars, réminiscences d’une vie antérieure, flashbacks, difficile pour le public de suivre clairement et l’histoire et les visées du réalisateur. Certaines séquences peinent ainsi à faire sens, noyées au milieu du reste du récit plus classique et sans lien apparent. La linéarité scénaristique est remplacée par un foisonnement d’époques (les quarante dernières années en gros), comme autant d’instants porteurs d’une parcelle de la vérité dont le film prépare la révélation avec parcimonie. On peut adhérer ou détester le procédé, mais force est de constater que Vallée s’essaie à un exercice difficile. Ce désir de raconter une métahistoire (celle de deux âmes sœurs qui se cherchent) sise au milieu de deux narrations elles-mêmes déjà denses, finit par accoucher malheureusement d’un résultat mitigé. Loin des romances académiques, Café de Flore multiplie les pistes de lecture, les culs de sac et les interprétations les plus farfelues. Qu’est-ce que Vallée cherche à nous raconter ? Sans doute rien. Le parti-pris du morcellement narratif, augmenté d’une difficulté à suivre clairement le propos du film, égare le public, obligé de s’ancrer dans les émotions des personnages au détriment de l’histoire.
Au vu de sa problématique (la passion de deux êtres peut-elle contrecarrer la tragédie de la séparation, au-delà de la mort), le film n’a pas fondamentalement tort d’éviter le piège explicatif, mais à trop vouloir embrasser la notion de passion sans en cerner les enjeux, il demeure un projet un peu hermétique. La triple casquette de Vallée n’est sans doute pas étrangère à cette impression. Scénariste, réalisateur et monteur, le Canadien aurait dû s’entourer de regards extérieurs. Café de Flore souffre de cette toute-puissance, sans équilibre, ni recul.
Préférant s’aventurer sur le terrain du seul ressenti pour porter son projet, Vallée instille partout de la musique, un des vecteurs sensoriels les plus efficaces au cinéma. Pink Floyd, Sigur Ros, The Cure, la pop culture du réal’ (déjà à l’œuvre dans C.R.A.Z.Y.), trouve ici une place de choix. De la passion naissante du couple adolescent Antoine/Carole, bercé par l’écoute de vinyls pop-rock (couple posé comme parfait), à l’amour inconditionnel de Jacqueline pour son enfant, dont elle nourrit la sensibilité à coups de 33 tours, la musique omniprésente lie les époques et les âmes. Tendre, attachante, la mise en musique par Vallée de son propre scénario ne laisse pas indifférent. Elle colle au film, aux émotions des personnages, en devient la sève élémentaire, quitte à oublier toute idée de dramaturgie.
Dans ces conditions, difficile d’apporter une véritable conclusion satisfaisante (les limites des choix de Vallée apparaissent alors pleinement) et dans sa dernière partie Café de Flore s’enlise dans un mysticisme alambiqué. Cherchant à tout prix à boucler la boucle (on découvre alors qui sont ces âmes sœurs que le temps ne peut séparer), le métrage ploie sous des circonvolutions et des symboles trop appuyés. Alors que le metteur en scène s’est évertué durant plus d’une heure et demie à éviter toute explication rationnelle, il flanche dans les dernières minutes et débite un charabia métaphysico-mystique. Si la finesse et la délicatesse de très nombreuses scènes antérieures ne font pas oublier la fin ratée de Café de Flore, elles atténuent un peu la déception de cet épilogue en « queue de poisson ». Sans doute trop investi dans son film, Vallée n’a pas réussi à traduire en images ses visions et ne propose au bout du compte qu’un objet clos sur lui-même, qui laissera circonspect de nombreux spectateurs.