Moins d’un an après le succès de Dallas Buyers Club, le Canadien Jean-Marc Vallée s’inspire d’une nouvelle histoire vraie pour rejouer grosso modo le même scénario qui lui avait valu deux Oscars (meilleur acteur et meilleur second rôle) : le récit d’une survivante, phœnix ensanglanté comme l’Académie en raffole, endurant toute une série de souffrances pour mieux renaître de ses cendres. Des genoux esquintés de Reese Witherspoon à la maigreur de Matthew McConaughey ou le dépérissement de Jared Leto, se déploie au fond le même programme d’une rédemption expiatrice qui passe par la purification du corps meurtri. À ceci près que dans Wild la revitalisation du personnage se révèle moins synonyme d’un salut moral que d’une purgation de l’organique par la nature. Pourquoi pas, après tout, mais le soin quasi méthodique dont fait preuve le film à recenser toutes les matières, liquides et rebuts (vomi, sang, salive, selles, eau croupie qu’il faudra filtrer, ongles arrachés, etc.) susceptibles d’incarner ce principe trahit autant un appétit doloriste qu’il ne met en lumière la lourdeur du mouvement dialectique et de son écriture.
Tambouille organique
Pourtant le point de départ, pas très éloigné de celui d’Into the Wild (une jeune femme part seule, loin de la civilisation, pour suivre une route en pleine nature longue de 1600 km), semblait augurer la promesse d’un survival, qui, loin d’être inconciliable avec le projet du film, aurait pu même lui apporter un peu de chair. Mais passé un pré-générique annonciateur d’une odyssée piaculaire, Wild s’avère incapable de prendre en charge cette traversée d’un territoire vierge. C’est que l’immersion en pleine nature ne semble curieusement pas intéresser Jean-Marc Vallée, qui ne cesse d’entrecouper son montage d’incessants flash-backs du tumultueux passé de l’héroïne. Il y avait pourtant là un certain potentiel dans ce récit d’un itinéraire truffés d’enjeux prosaïques (comment traverser une rivière, récupérer de l’eau, trouver de la nourriture, etc.) et vecteurs de mise en scène, à côté duquel le film passe hélas complètement à côté en tombant dans le piège béant du pré-mâchage psychologique : il faut que le spectateur comprenne vite ce qui se trame dans la tête de l’héroïne, tout de suite, instantanément.
Plutôt que de donner à voir le dévoilement du personnage par le prisme de situations et de véritables mises en tension avec l’espace, le cinéaste fait au contraire défiler une salve de décors tristement interchangeables et jamais moteurs de ce qui se joue à l’intérieur des scènes. Il convoque à l’inverse tout un attirail de procédés extrêmement grossiers : musique hyper-signifiante, voix-over, gros plans sur les corps et la matière, ralentis, bref, autant de poncifs d’un cinéma « sensoriel » aussi académique que publicitaire. Cette batterie de gammes affectées, fruit d’intentions mal dégrossies, ne fait que saupoudrer un triste chapelet de scènes illustratives et tributaires d’un scénario somme toute très balisé et qui ne dévie guère de son dispositif binaire d’allers et retours entre le présent et le passé.
Mais le plus gênant tient peut-être à cette impression tenace que Wild souscrit à une indigeste recette de cuisine qui pourrait définir l’ADN de toute une sous-catégorie du cinéma d’auteur, où le recours au montage alterné et à des plans « à fleur de peau » (la lumière doucereuse qui vient baigner les visages, une main caressant la crinière d’un cheval, etc.) vise à une supposée ivresse des sens – des personnages, du spectateur. Face à une proposition filmique aussi faible, digne d’un mauvais clip musical (et dont la morale puise d’ailleurs son inspiration dans une chanson de Simon & Garfunkel – « je préfère être un marteau qu’un clou »), il ne nous reste plus, à l’instar de l’héroïne, qu’à compter les kilomètres qui nous séparent de la ligne d’arrivée. Et avec eux les minutes.