Soyons honnêtes : la chaleur estivale convie bien plus à la paresse qu’à la lecture des mémoires de Saint-Simon. Bercé par le sirocco, le cerveau fonctionne au ralenti et arrive le moment propice où des être perfides viennent remplir ce temps de cerveau libre, histoire de le rafraîchir un peu avec un délicieux appât. The Young Victoria en est un. N’ayez crainte, aucun risque d’indigestion, tout est savamment dosé : les héros sont jeunes et beaux, ils portent de brillants costumes, ils s’aiment, ils rient souvent, parfois ils crient, mais finalement l’ivresse du bonheur reprend vite le dessus. The Young Victoria s’adresse surtout aux jeunes filles en fleurs amoureuses des contes de fées. Elles y trouveront réconfort et rêves. Pour les autres, voici une énième histoire de princesses parfumées à l’eau de rose (du haut de gamme, bien entendu).
Si vous ne le saviez pas encore, la reine Victoria est bien plus célèbre pour ses robes noires et son visage endeuillé que pour avoir cherché à se libérer du joug de sa mère, la duchesse de Kent (Miranda Richardson). Peu de monde connait cette histoire, sauf Sarah Ferguson qui la proposa au producteur du film Les Infiltrés, Graham King. Cela arriva sous la plume de Julian Fellowes, et convaincu, Martin Scorsese se joint à son ami pour produire le film. Les deux choisissent un Canadien, Jean-Marc Vallée (son film C.R.A.Z.Y. a eu un succès notable) pour s’attaquer à ce qui est resté longtemps sous silence : la jeunesse de cette femme devenue reine à 18 ans, sans y avoir pensé, sans le vouloir non plus. Que s’est-il passé avant l’arrivée au trône de cette reine qui régna pendant près de soixante-quatre ans ? La réponse réside dans ces propos de la reine d’une originalité désopilante : « even a palace can be a prison ».
Quelle grande occasion pour Emily Blunt d’obtenir son premier grand rôle dans un film d’époque. Pour une jeune actrice, le film en costume est l’étape qu’il ne faut pas rater. Il y a eu l’incomparable Romy Schneider en 1955 pour incarner bien avant Sissi, la jeunesse de la reine Victoria. Maintenant, voici Emily Blunt, ex-martyr(e) de la mode dans Le Diable s’habille en Prada. Elle endosse son rôle avec le charme qu’il se doit tant qu’il ne se transforme pas en fadeur. Elle ne surprend ni n’étonne, après tout, être reine lui sied à merveille. Face à elle, l’élégant Rupert Friend (le prince Albert) qui a l’air d’avoir toutes les qualités d’un prince charmant et qui a la chance d’être à nouveau le chéri de toutes ces dames.
Victoria, future reine, cherche à se libérer d’une mère faible, vénale et manipulée par un fidèle ami (amant ?), Sir John Conroy (Mark Strong). Le film passe (trop vite) sur son enfance racontée en voix off par l’intéressée et illustrée par des images balancées en désordre. Jean-Marc Vallée insiste sur le conflit entre la mère et sa fille, la lascivité de l’une contre la volonté de l’autre. Même si toutes les deux seront entourées de fourbes conseillers, jamais elle ne parviendront à s’entendre et pour marquer cette scission, le réalisateur s’appuie sur des jeux de miroirs où les deux femmes parlent au reflet de l’une pour s’adresser à l’autre. Quelle imagination !
Victoria n’est jamais seule, elle est toujours observée par des personnages hors champ ou entourée par ses fidèles plus ou moins bienveillants. D’ailleurs il y a peu de plans d’ensemble, Jean-Marc Vallée privilégie les plans rapprochés voire les gros plans, et insiste sur cet emprisonnement que vit la princesse : un cloisonnement feutré de manigances qu’il lui faut combattre. Pourtant il y a du mouvement dans ce film. Jean-Marc Vallée s’appuie sur la relation épistolaire de la reine et le prince Albert de Saxe-Cobourg et Gotha (qui aurait donné son nom à un piercing) pour traduire cette passion amoureuse mais discrète. Ils s’écrivent souvent, les plans se mélangent entre la demeure de l’un et celle de l’autre, les voix off se répondent, les lettres s’envolent, se croisent et ceci s’accélère jusqu’à l’arrivée du moment clé de l’histoire : le bal. Entre-temps, les gens apparaissent ou disparaissent selon la profondeur de champ, la musique interprétée avec brio par le London Metropolitan Orchestra résonne juste à travers tout le film et c’est bien grâce à elle que l’attente s’en trouve réduite.
Le scénario, sans aucune surprise, réserve quelques péripéties pour ne pas perdre l’attention d’une cervelle distraite. Le réalisateur a sans doute vu chez la reine Victoria une féministe avant l’heure. Enfin, elle n’en est pas moins une femme qui se doit de trouver un mari. Bien des prétendants se présentent, mais depuis le début un seul gagne le cœur de la reine, le prince Albert et pour tenir le spectateur en haleine, les deux mettront un temps fou avant de s’unir pour la vie. Au bout du compte, ce mariage arrangé aboutit à un mariage heureux, une morale pour le moins surprenante.
Passons les colères à coups de pied au fidèle chien de Sa Majesté, revenons au bal ! Jean-Marc Vallée n’a rien appris de Luchino Visconti, dommage. Ce moment le plus important du film finit par un flop magistral. Victoria (passons aussi sur son arrivée comme portée par un skateboard) et Albert ouvrent le bal par une valse. Mais pourquoi avoir voulu répéter sous différents angles et à quatre reprises, le geste de ces mains qui se délient quand les deux tourtereaux terminent leur danse ? À première vue, le cliché n’effraie personne. Malgré tout, allez savoir pour quelles raisons on ne s’ennuie pas vraiment dans ce film. On sourit, crédule, oui. Certains défauts ont du charme, et certains esprits, de l’indulgence.