Anne Le Ny ne se contentera donc pas des éternels seconds rôles applaudis qu’elle avait servis notamment dans Le Goût des autres et La Petite Lili. Et c’est tant mieux. Ceux qui restent est un film sans prétention mais avec la douceur et la tendresse d’une jeune réalisatrice qui aime ses personnages et tente d’en tirer la substantifique moelle. À travers la peinture d’une solitude sans démonstration ni pathos, Anne Le Ny réussit à nous faire entrer dans une histoire déjà vue et revue : celle d’un amour presque impossible.
Le sujet n’est pas nouveau, les acteurs employés coutumiers de ce genre de rôle. Une Emmanuelle Devos sensuelle et perdue qui n’est pas sans rappeler son personnage de Gentille, un Vincent Lindon muet et cloisonné dans son angoisse qui renvoie à La Moustache ou aux films de Benoît Jacquot. Ils sont d’ailleurs tous les deux parfaits. Mais on aurait tendance à demander un peu plus que deux comédiens impeccables à un scénario a priori peu révolutionnaire sur le papier. L’originalité du film ne se situe pas dans le sujet mais dans son traitement : celui de la solitude face à des êtres eux-mêmes enfermés dans la maladie, celui d’une solitude qui existe pour elle-même, sans artifice de décors ou de seconds rôles trop compatissants. Les histoires d’amour ne finissent pas mal à cause de moult péripéties ou quiproquos : elles ne sont que passagères pour deux personnes à qui on n’a pas donné -et qui ne se sont pas accordé- le droit de sortir de leur devoir.
Bertrand voit sa femme mourir à petit feu d’un cancer ; Lorraine Grégeois (comme le feu ?) suit chaque opération de son conjoint en perdant un peu plus de courage à chaque fois. Dès le départ, c’est donc la mort ou la presque mort qui les rapproche. Les bases ne sont pas très solides. Bertrand ne parle que lorsque c’est nécessaire, Lorraine tente maladroitement de cacher son désarroi derrière un brin d’humour noir : « On meurt de quoi dans ce service ? » demande-t-elle en bousculant Bertrand. Elle s’est perdue dans les couloirs du mouroir et croise un comparse de douleur. Ni violons ni mouchoirs au sol pour une rencontre pas vraiment romantique. Toute la délicatesse d’Anne Le Ny tient à ce qu’elle insuffle de poésie dans un décor on ne peut plus glauque. Il refuse les avances de Lorraine parce qu’il se croit obligé d’honorer la souffrance de sa femme, l’infidélité physique serait une trahison quasi médicale. Elle, de son côté, refuse de vivre avec un homme dont les intestins seront toujours reliés à une poche d’évacuation.
Ils créent donc eux-mêmes cette solitude en un sens. Par fidélité, par devoir, par peur également. La maladie ici n’est pas la douleur du malade, que l’on ne verra d’ailleurs jamais, mais celle de ceux qui ne mourront pas, ceux qui attendent sans cesse des résultats d’analyse, ceux qui sont englués dans un train-train de visites, d’angoisse et de fatigue. Comme l’exclusion de soi dans le monde, la souffrance devient un rituel : Bertrand achète les journaux de sa femme, Lorraine le raccompagne au RER. Leur amour naissant prend les mêmes codes que ceux du rapport de bien portant au malade. La seule façon de casser cette routine est le dialogue, tantôt drôle, tantôt cruel, mais il a le mérite du contact. Il fait trembler l’habitude du silence et de l’acceptation. Anne Le Ny évite tout dramatisme sans pour autant blanchir le tableau : Ceux qui restent ne feront pas leur deuil dans la bonne humeur ou dans la mièvrerie.
Sans doute Anne Le Ny n’a-t-elle pas seulement voulu raconter une histoire et boucler par une fin trop écrite cette rencontre. Elle a aussi pris le soin de les laisser un peu seules, ses âmes, n’hésitant pas à filmer quelques séquences de simples gestes sans dialogues ni autres personnages pour que Bertrand et Lorraine soient davantage des personnes, des humains, que des idées ou des émotions crées de toute pièce. Elle leur accorde un peu plus de mouvements à l’image lorsqu’ils se laissent aller à sortir de l’hôpital. Et bien que cette insouciance soit de courte durée, elle sert à ne pas alourdir le propos, à ne pas le rendre trop plombant. Anne Le Ny a réussi à former un vrai drame avec pas grand-chose, si ce n’est deux acteurs très bien dirigés et une idée personnelle et touchante des hasards, même rapides, de la vie.