Le 28 mai dernier, une impression de déjà-vu se dégageait du discours de Lukas Dhont après l’obtention pour Close, son deuxième film, du Grand Prix du Jury du Festival de Cannes (ex-æquo avec Stars at Noon de Claire Denis). Dans un exercice de style en forme de bis repetita, le réalisateur belge semblait reprendre les choses là où une autre jeune pousse cannoise, Xavier Dolan, les avait laissées quelques années plus tôt, lors des sacres de Mommy et de Juste la fin du monde. Dans ces films entièrement dévolus au spectacle d’affects brutaux, le Canadien avait atteint le point de non-retour en se consacrant, d’après son expression, à « la folie des passions », tandis que c’est l’hypersensibilité de Dhont qui semble avoir conquis le jury présidé par Vincent Lindon : « la fragilité est un super-pouvoir » plaidait le cinéaste, avant de dédier son film « à la tendresse et au courage de ceux qui choisissent l’amour à la violence ». Comme nous nous en étions déjà fait l’écho à Cannes, l’inspiration dolanienne de Close ne fait aucun doute, ne serait-ce que par l’omniprésence d’un imaginaire plus nord-américain qu’européen, sensible par exemple dans la place donnée au hockey sur glace, qui semble être devenu ici le sport le plus populaire auprès des écoliers du Plat Pays. Mélodrame mettant en scène la séparation inéluctable de Léo et Rémi, deux garçons liés par une amitié fusionnelle, le film dégraisse le style surchargé de réalisateur des Amours imaginaires pour n’en garder que les impulsions lyriques, qui, au gré d’amples travellings latéraux, restituent le sentiment fragile d’un bonheur partagé. À l’opposé de ces instants privilégiés, la société s’incarne dans des zones de non-droit, comme ici la cour de récréation du collège des deux enfants, où le poids des injonctions sociales s’exerce avec une constante brutalité. Les persiflages anonymes s’y multiplient, vite intériorisés par Léo, à mesure que se répand la rumeur d’une possible relation amoureuse entre les deux garçons. Inversant le schéma narratif de The Children’s Hour de William Wyler, les premières trente minutes restituent la lente désagrégation du duo, à mesure que leurs jeux innocents (ils s’imaginent à la guerre dans un bunker désaffecté) ne suffisent plus à combler le fossé qui les sépare. Les derniers instants d’euphorie dans le vert paradis des amours enfantines aboutissent toutefois au même écueil que les décrochages musicaux chez Dolan, lorsque l’imagerie publicitaire prend le pas sur l’écriture en capitalisant uniquement sur une logique d’intensité clipesque et sur la joliesse des cadres. Quand les scènes de courses éperdues, à travers les champs de blé et de fleurs, cessent de ressembler à une réclame pour l’agriculture durable, Léo et Rémi sont enfin filmés avec une certaine attention, notamment lors d’une séquence à vélo où la désynchronisation de leurs mouvements annonce leur séparation définitive dans le silence de l’été indien.
Le drame du film tient toutefois à la lourdeur de ses intentions (là encore, le film embraye le pas à Dolan : « Il faut émouvoir le public, le faire pleurer, rire. »). L’impératif du pathos se traduit par le surlignage des enjeux dans des dialogues explicatifs, comme si la mise en scène ne devait jamais faire écran à l’adhésion du public pour les personnages. En découle une écriture rachitique qui troque la subtilité du détail pour des effets de manche systématiques – exemplairement, la dichotomie entre un style « cinéma direct » pour les scènes à école et les élégants mouvements de caméra tournés à la steadicam lors des scènes à la campagne. Le film s’achemine ainsi assez naturellement vers un coup de force scénaristique que l’on ne dévoilera pas, au cours duquel le récit d’une amitié laisse place à l’apprentissage de la solitude. Dénué de l’énergie flambeuse de Dolan lorsqu’il aborde les rives de la tragédie, Dhont s’en tient à égrainer les stations de son chemin de croix, au cours duquel l’enfant fait l’apprentissage de sa propre culpabilité. Sous couvert d’une délicatesse affectée (le cinéaste, à court d’idées, multiplie les scènes silencieuses et contemplatives, filmées au plus près des corps de ses interprètes), le film dévoile un goût passablement masochiste pour le martyre, notamment lors des entraînements de hockey, où Léo semble chercher les coups pour soulager son tourment. En dépit du talent des acteurs (Dequenne et Drucker en tête), difficile pour Close d’échapper au programme cadenassé de son scénario, car à ne jamais transcender son édifiant sujet par une mise en scène à la hauteur, Dhont échoue à restituer le regard de l’enfance sur le drame d’une séparation.