Avant de rafler la Caméra d’Or et la Queer Palm, le premier film de Lukas Dhont, Girl avait été accueilli par une standing ovation retentissante lors du premier week-end cannois, qui en a fait d’emblée le chouchou d’Un Certain Regard. Un coup d’essai à l’équilibre pourtant périlleux, puisqu’il repose en grande partie sur les frêles épaules de Victor Polster, récompensé par le Prix d’interprétation de cette même sélection. Celui-ci y joue le rôle de Lara – anciennement Victor –, qui veut mener à son terme sa transition en subissant l’opération chirurgicale nécessaire à son changement de sexe. Sa décision coïncide avec son admission dans l’une des plus prestigieuses écoles de danse de Belgique, où elle doit rattraper son retard sur les autres ballerines, formées depuis l’enfance à l’éprouvante technique du ballet.
La caméra frémissante de Dhont épouse le moindre mouvement de Lara, qui enchaîne les rotations avec une persévérance ne laissant aucun doute sur sa détermination à réussir sa mue, à la fois de femme et de danseuse. Girl pourrait se résumer à ce mouvement giratoire, réitéré jusqu’à l’épuisement et au vertige, s’il n’avait l’heureuse idée d’inscrire sa métamorphose dans une configuration familiale qui déjoue les attendus de ce type de récit. Derrière la fille, se cache ainsi un beau portrait de père (excellent Arieh Worthalter), chauffeur de taxi divorcé qui soutient inconditionnellement le choix irréversible de Lara, tout en prenant en charge les appréhensions légitimes qu’il nourrit chez le spectateur.
Refusant les circonstances atténuantes, Girl touche par la justesse de son dialogue parental, propice aux mêmes frustrations et non-dits qu’avec n’importe quel autre adolescent. Lara est parfois pénible, difficile, voire indifférente aux sacrifices consentis par son père, qui s’est réinstallé pour elle à Anvers. Elle brûle de cette impatience propre à son âge, devant l’absence de résultats immédiats du traitement hormonal censé faire apparaître ses seins. Une attente intenable quand les conséquences de l’entraînement, elles, sont douloureusement visibles, Lara redescendant de ses pointes les doigts de pied en sang. Cette mutilation en augure une autre, vers laquelle ce grand corps gracile virevolte inéluctablement. En dépit d’une difficulté à s’astreindre au cadre, ce cinéma aux trémolos parfois agaçants émeut, en trouvant la bonne distance entre frontalité et pudeur.