René Féret et les Stévenin dans Comme une étoile dans la nuit, c’est une famille presque au complet. Une famille qui se réunit pour raconter une histoire vraie, d’un couple qui s’aime, et que la mort sépare. Un peu léger comme ça, sauf que Salomé Stévenin porte avec elle ce film, bien au-delà du possible.
Le film est sur le point de commencer lorsqu’un avertissement surgit au milieu de l’écran noir : « Je dédie ce film à ma nièce et à son compagnon qui ont réellement vécu cette histoire. » L’emploi du « je », la valeur de cette déclaration et la solennité du message dérangent. Est-ce un avertissement que nous devons prendre au sérieux ? Parce qu’il suscite, sans le vouloir, une petite appréhension. Avec cette simple déclaration, une peur naît, celle de voir la fiction se mêler à la réalité. Pourquoi ? Parce que c’est lui, René Féret, l’habitué des histoires vraies. Il avoue avoir toujours préféré l’autobiographie à l’invention d’un scénario et sa filmographie nous le prouve. Il puise toujours dans des faits réels pour imaginer ensuite un film, s’inspire du père de sa femme pour son long-métrage Il a suffi que maman s’en aille, ou d’un roman autobiographique de Doris Lessing dans Rue du retrait. Parler des souffrances des autres reste dans son imaginaire une matière inépuisable, bien mieux que la stricte invention d’un scénario.
Comme une étoile dans la nuit retrace un amour véritable, un amour sensible, à fleur de peau, entre deux jeunes gens, prêts à tout pour se donner à l’autre, sans raisons, hormis celle des sentiments. Un film d’amour mais pas n’importe lequel, le premier. In media res, le réalisateur nous emmène dans la chambre d’un jeune couple, les déshabille, nous les dévoile, sans détours, avec la maladresse et le silence des premières fois. Et la lumière bleutée donne la chair de poule, l’impression d’être mis à nu, comme eux, de sentir la moiteur de leurs corps qui étreignent. Cette intimité d’entrée de jeu renvoie à la dédicace, à un univers intime qui pousse à croire que cette histoire et ces mots pourraient être les nôtres, ou ceux de nos proches, parce qu’ils ont ce goût d’authenticité, d’insouciance et ce souffle d’illusions perdues.
Anne et Marc se connaissent à peine, mais s’aiment déjà. Banal comme ça. Mais qui a dit que l’amour ne l’était pas ? Alors, ils s’aiment. Et veulent un enfant. Vite, voilà le hic. Ils ne veulent pas attendre. Ils emménagent ensemble et veulent se marier, à peine après s’être rencontrés. Tout semble beau, sans doute trop. L’engouement prend vite fin, il faut bien que le temps s’arrête et reprenne ses droits, alors un soir Marc sent son corps lui échapper, il devient pâle, Anne s’inquiète, le lendemain il consulte un médecin et le diagnostic tombe : Marc va mourir, atteint d’une maladie dégénérescente. Tout était trop beau, ils s’aimaient, se le disaient à longueur de journées, ils vivaient ensemble, parlaient d’enfants, alors pourquoi penser à la mort, quand la vie ne fait que commencer ?
De là, René Féret pouvait argumenter autour de la maladie, de son injustice, filmer les pleurs, les cris qui viendraient trouver un écho dans une bande son larmoyante, une photographie jaunie, et des visages dépités. Non. Rien de tout ça. L’image s’apparente à la sensibilité juvénile d’un premier amour : pure. Elle ne cache rien. Ne cherchant pas à plaire, elle décrit, pose les contours d’une vie qui s’éteint face à celles qui continuent. Longtemps, René Féret se fixe sur la belle Salomé Stévenin, au corps fragile, frêle, à l’âme sensible, dotée d’une attachante obstination, celle de se battre, de ne s’avouer jamais vaincue, et sourire, face à la difficulté d’exister et d’aimer celui que l’on va perdre, impuissante à le garder. Souvent, il les filme nus. Pas de voyeurisme, plutôt l’idée d’un éden idyllique, et puis le nu leur va si bien. Si le jeu de Marc pèche par manque d’expressivité, d’émotions, il y a néanmoins une morale à cette histoire, du moins, le sentiment qui naît devant cette violence d’un amour interrompu par une maladie mortelle, forcement injuste, toutes les morts le sont, mais leur histoire peut trouver refuge dans cette réflexion de Paul Nizan : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Anne et Marc représentent à merveille cet amour de jeunesse, frappée par la réalité de l’existence. Aucun coupable, le couple se bat sans cesse et baisse les armes, par choix, et emporte avec lui un goût de victoire.
René Féret la suit partout, Anne et sa robe rouge, elle ne tremble pas, sourit sans cesse, semble cacher sa peine, ou plutôt ne pas y croire. Les autres pleurent pour elles. Son père (Jean-François Stévenin) la réconforte à peine, personne ne semble vouloir l’aider, comprendre son désir de sourire à la vie. Malgré toutes les bonnes volontés, à un moment, le corps ne suit plus. Marc, faible, perd ses cheveux, sait sa fin proche, et, toujours par amour, se demande comment imposer à Anne de rester à ses côtés, de le voir se détruire, emporté par une maladie à laquelle elle ne pourra rien. Anne va vivre, mais Anne aura aimé. Et continuera, sans doute.