René Féret s’est souvent signalé par ses prétentions autobiographiques et l’affichage de l’aspect familial de sa petite entreprise (l’épouse monte et coproduit, les enfants jouent). Ici, il prend quelques risques supplémentaires en prétendant parler de cinéma, se basant, on s’en doute, sur le sien — quitte à s’inspirer des difficultés commerciales de son film précédent, le film « d’époque » Madame Solario dont le producteur Christophe Rossignon vient d’ailleurs jouer son propre rôle. Or dès la première scène, on pressent que la menace de complaisance sera déjouée, que ce que Féret compte nous proposer n’est pas sans intérêt. En alter ego de Féret, Pierre, le réalisateur joué par l’excellent Frédéric Pierrot, vient présenter son dernier film dans une salle de cinéma. Mais au moment de s’exprimer, il se voit amené à lutter pour faire valoir son point de vue, sa vérité sur son film, face à un directeur de salle (joué, malicieusement, par Féret lui-même) et un public prompts à s’approprier l’œuvre, à lui plaquer leurs propres interprétations, voire à invalider d’avance la parole du cinéaste. Cette scène tout à fait réaliste pourrait faire un film bienvenu à elle toute seule, évocation sans coup férir d’une certaine fermeture d’esprit de la cinéphilie actuelle. Elle n’est cependant que la première des multiples luttes de pouvoir et de possession qui émaillent Le Prochain Film, et ce avant même que ledit « prochain film » ait une chance de voir le jour.
Sans appareil
Car Le Prochain Film n’est pas La Nuit américaine, et il n’y a pas lieu de s’en plaindre. Alors que Truffaut se plaisait à se mettre en abyme comme le réalisateur qu’il se flattait d’être au moment de tourner et d’interagir avec ses collaborateurs, Féret s’intéresse au préalable, non à l’acte de filmer ni même à sa préparation, mais au long chemin entre l’inspiration lointaine et le simple projet de filmer. Pas un seul appareil à l’horizon, à peine un scénario qui reste à peaufiner, même pas de vraie équipe : seulement des gens qui tâchent de travailler ensemble et dont même la proximité personnelle n’empêche pas les egos de s’affronter, jusqu’à l’amertume, pour la propriété de leur travail. Pierre veut réaliser une comédie ; mû par une vague intuition qu’il impose autoritairement, il confie le rôle principal à son frère acteur, qui n’a pourtant jamais tenu que des rôles sérieux, et dont le léger égocentrisme pose problème à sa compagne. Même la compagne et collaboratrice de Pierre, devant la lenteur du projet, finit par s’éveiller à ses projets personnels. C’est à peine si Féret se penche sur la question de la création artistique, ne prétendant jamais en connaître la nature. Il va chercher cette chose moins avouable qui accompagne l’inspiration créatrice : l’inclination d’un artiste, ou plus généralement de celui qui côtoie un art (acteur, producteur, spectateur, voire politicien touchant à la culture), à défendre son idée au mépris de l’évidence, et surtout au mépris de la vision de l’autre. Et comme le cinéma en particulier — contrairement au fantasme de certains — n’est plus vraiment le fruit de l’esprit d’un seul mais une entreprise collective, les frictions sont inévitables, et la comédie de Féret, ni bouffonne ni satirique et encore moins accusatrice, s’articule autour de ces luttes de tir à la corde, portée par des comédiens certainement conscients des enjeux au vu de leur talent dans leurs rôles respectifs. À l’heure où une culture de l’image contaminée par la paresse télévisuelle considère de plus en plus le cinéma comme un travail de techniciens doués et visuellement inspirés qui le personnaliseraient par leur seule habileté, il est rassurant de voir un cinéaste tâcher de remettre cet art à nu, de le débarrasser de ses oripeaux fascinants pour rappeler l’humanité pas toujours agréable qui en use — pour pointer, finalement, combien son pouvoir peut excuser les fantasmes de possession de ses artisans comme de ceux qui le contemplent.