Deuxième volet d’un film à sketches sorti en décembre dernier, Contes de l’âge d’or se décline cette fois-ci sous le biais d’histoires de couples, d’amours contrariées ou à peine avouées. L’humour s’y fait moins tranchant et absurde, et les trois récits qui composent l’œuvre gagnent en une épaisseur noire et mélancolique.
Le projet des Contes, lancé et chapeauté par Cristian Mungiu, est envisagé comme une relecture des années de dictature sous Ceauşescu par le biais de légendes urbaines, qui mettent en évidence à la fois la dureté et l’absurdité d’un système, ainsi que les moyens artisanaux de le contourner. L’angle d’attaque de cette deuxième partie se positionne plus clairement sous les auspices du système D, chacun des trois récits étant accompagné d’un traitement des échanges clandestins entre un homme et une femme avec, comme arc narratif, une interrogation qui sonde la question des moyens. Comment une jeune femme peut-elle sauver de la mort son dindon doué d’intelligence promis en cadeau de remerciement à un médecin ? Comment un livreur de poules amoureux d’une restauratrice peut-il piquer des œufs pour elle sans se faire prendre, et faire ainsi sa déclaration sous couvert d’entraide ? Comment deux jeunes gens peuvent-ils se faire passer pour des membres du parti, et récolter des bouteilles de verre vide pour en récupérer la consigne ?
Le ton se veut ici moins ouvertement guignol et plus grave, même si les trois contes gardent une certaine distance, un aspect presque détaché qui empêche une véritable empathie avec les personnages. Le livreur de poules, avec son air renfrogné, malheureux et froid, suscite finalement peu de sympathie, et l’on évite ainsi l’écueil de la démonstration manichéenne, où le vilain État oppresserait de pauvres habitants innocents (ce qui, à la plupart des égards, est vrai, mais finalement un propos rebattu et peu intéressant). À ce titre, « la légende du vendeur d’air » fait figure d’exemple, puisque le peuple est truandé par deux jeunes personnes qui, sous couvert de faire des prélèvements pour analyser l’air, se font de l’argent sur le dos de petits vieux crédules. Une certaine forme de cruauté est donc à l’œuvre ici, avec le sentiment inéluctable qu’on ne peut échapper à la machine dictatoriale et les instruments de surveillance du parti, puisque même les gens se dénoncent entre eux. En creux se tisse le fil d’une certaine forme d’oppression latente, où la suspicion est présente dans toutes les couches de la société. En conséquence, l’humeur maussade et pessimiste de ces trois sketches vient ici rétablir un équilibre par rapport à une première partie enlevée et gaillarde.
Si l’on fait exception du premier conte, les récits se referment en entonnoir, sur une impasse qui ne laisse que peu d’espoir quant à l’avenir des personnages. Cette sécheresse, ce sérieux nouvellement revendiqué par cette deuxième partie réduit le champ poétique du film, et l’on perd un peu au passage le côté fable, dont le tissu était ponctuellement troué par le surgissement d’éléments concrets d’une réalité contraignante. Cela fait à la fois office de renouvellement partiel des sketches, mais cela délimite également un horizon connu, où le récit avance tranquillement vers un point de chute prévisible (l’arrestation). Sont-ils devenus fatalistes, nos réalisateurs roumains ? Pas tout à fait, car le conte avec le dindon, qui sert finalement de transition avec le premier film, introduit un élément loufoque : la croyance d’une jeune femme en la capacité de l’animal à reconnaître et distinguer des formes. Se créé un dialogue absurde entre eux, comme une complicité qui n’aurait d’existence que dans le regard de l’un, et dont l’impossibilité à communiquer est la matière même du rire. L’écho lointain des années de dictature se fait alors entendre, avec l’hypothèse que si le système est sourd aux revendications du peuple, cela n’empêche pas les habitants de vouloir continuer à jouer avec lui et tester sa limite de tolérance. Gardons cette image en tête : par les temps qui courent, cela peut toujours servir.