Après les grandes théories du Big Bang et de l’évolution, Cro Man nous propose la théorie Aardman : le football aurait été inventé par des hommes préhistoriques au moment où une pluie de météorites s’abattait sur la Terre, détruisant au passage les dinosaures. Et quoi de mieux qu’une météorite encore fumante pour se faire des passes du pied, puis marquer dans des cages en os de tyrannosaures ? Quelques milliers d’années plus tard, en plein Âge de pierre, Doug et les autres membres de sa tribu chassent sereinement le lapin, dans l’ignorance totale du sport autrefois inventé par leurs ancêtres. L’ignorance est finalement ce qui les caractérise le mieux, car ils n’imaginent pas une seule seconde ce qui se dessine au-delà de leur paisible vallée verdoyante : l’Âge de bronze est déjà en marche, prêt à tout écraser sur son passage. Un programme qui semble tout à fait séduisant, mais une question pourtant dérangeante grandit à mesure que le récit avance : et si la prouesse technique avait pris le pas sur le scénario ?
Héritage et savoir-faire
La dernière production du studio d’animation Aardman remontait à 2015 (Shaun le mouton), mais grâce au distributeur Folimage nous avons pu (re)découvrir sur nos écrans en novembre 2016 et 2017 deux programmes de courts métrages du célèbre duo Wallace et Gromit (Les Inventuriers avec Une grande excursion et Un mauvais pantalon, puis Cœurs à modeler avec Rasé de près et Sacré pétrin). Réalisateur emblématique du studio britannique, Nick Park avait donné une nouvelle ambition à l’animation avec ces personnages de plasticine, mêlant la maîtrise de la technique, la beauté esthétique et des scenarii originaux s’adressant tout autant aux enfants qu’aux adultes. Et encore aujourd’hui son travail fait souffler un vent de fraîcheur au sein d’un genre où l’on ne peut que constater l’hégémonie des images de synthèse.
Sur le plan technique, difficile de faire quelque reproche que ce soit à Cro Man : l’animation en stop motion est remarquable, notamment dans les séquences de jeux où les personnages bougent sans cesse et rapidement sur le terrain de football. Les mouvements sont fluides et chaque détail est minutieusement réglé pour nous faire presque oublier qu’il ne s’agit que de marionnettes animées. Park met brillamment en scène la douce stupidité de ses personnages en exploitant le comique de répétition et d’accumulation, spécialement dans les séquences illustrant leur incompétence pour la chasse, leur maladresse excessive et leur incapacité à coordonner leurs mouvements. Le réalisateur use également des perspectives pour déclencher la surprise puis le rire, comme par exemple faire passer discrètement un « canardosaure », canard géant préhistorique, pour un vulgaire colvert avant une attaque intempestive.
Les gags fonctionnent donc, et l’humour British décalé est toujours bien présent. Les références parodiques disséminées tout au long du film font sourire (des grottes de Lascaux à la rappeuse Latifah, en passant par le Real de Madrid) mais sont pourtant bien plus rares et moins sophistiquées qu’à l’accoutumée. Malheureusement face à cette baisse de régime humoristique et à un rythme trainant entre deux boutades, le fond n’est pas non plus suffisamment consistant. En tout cas bien en dessous de l’intelligence des propos sous-jacents de Chicken Run ou Shaun le mouton.
Céder à la simplicité
Ici Wallace est devenu Doug et Gromit est devenu Hognob (Crochon en anglais), son fidèle cochon de compagnie. Avec leur tribu, ils représentent le peuple opprimé qui va se dresser contre Lord Noz, caricature de souverain despotique affublé pour des raisons obscures d’un accent frenchy très prononcé dans la version originale et d’une dent en or. Mais au-delà de son extrême cupidité, la réflexion ne va pas plus loin et la critique de la royauté – et plus largement de la hiérarchie des classes – sonne creux. Cro Man semble vouloir également questionner l’identité de la Grande-Bretagne à travers son rapport à l’histoire et à son héritage mais ne traite son sujet qu’en surface.
Le film propose également une légère critique du monde du football avec des piques sur les salaires mirobolants des joueurs et sur les blessures simulées, mais le seul enjeu du film est finalement le résultat du match opposant l’Âge de pierre à l’Âge de bronze. Les supporteurs de football – appelé ici « The Secret Game / Le Jeu Sacré » – y verront donc sans doute un attrait supplémentaire, mais celles et ceux qui ne voient pas d’intérêt particulier aux discussions de stratégies footballistiques pendant près d’une heure, agrémentées de mascottes et de cartes à l’effigie des joueurs, auront presque hâte que le match se termine.