Toujours réalisé en pâte à modeler animée image par image, le film est la preuve de la belle continuation esthétique qui anime les auteurs à l’heure de l’hégémonie du numérique. Le Mystère du lapin-garou est une nouvelle réussite pour le studio Aardman. Après Chicken Run réalisé en 2000, il s’agit d’un drôle de film au charme désuet, loin de toute mode qui marque l’attachement des réalisateurs aux personnages et la technique qui les anime.
Tremblez d’effroi braves personnages de pâte à modeler, car une déferlante de lapins voraces envahit vos potagers et détruit vos énormes légumes ! Dans la petite ville de Wallace et de son chien Gromit, c’est une véritable paranoïa lagomorphe qui sévit à l’approche du concours annuel du plus beau légume. Heureusement que nos deux héros veillent à la sécurité des jardins, par d’ingénieux systèmes de protection, et qu’ils capturent en un temps record ces lapins gloutons. Mais voilà les petites bêtes commencent à s’accumuler au domicile de nos deux compères et après une malheureuse manipulation scientifique expérimentale de Wallace, visant à rendre ces animaux inoffensifs, un être hybride gourmand et monstrueux fait son apparition. Il s’agit du terrible lapin-garou qui va semer la terreur et plonger les habitants du village dans des situations de plus en plus folles…
Que les fans des courts métrages de Nick Park se rassurent, Le Mystère du lapin-garou est une réussite. Dix ans que nous n’avions plus eu de nouvelles de nos chers héros so British, depuis qu’ils avaient dû faire face à un chien robot tueur de moutons dans Rasé de près (A Close Shave) réalisé en 1995. Pour ce nouvel opus ils doivent de nouveau affronter un improbable ennemi : un lapin-garou. Mais que ceux qui n’ont jamais goûté à leurs aventures n’hésitent pas à aller voir cette nouvelle histoire, car eux aussi pourront apprécier les charmes de cet univers qui se base sur une douce folie. La recette est sensiblement la même que pour les films précédents, mais elle fonctionne à nouveau. Les personnages ont gardé leur tempérament : ainsi le loufoque et génial inventeur Wallace accro au fromage, toujours accompagné par son lucide et clairvoyant chien Gromit, les deux étant encore lancés dans un récit proche du thriller ou du film d’horreur de série B mais traité sur un mode comique par une mise en scène qui cherche des effets purement cinématographiques dans le montage comme dans la réalisation.
C’est une véritable maison de poupée qui prend vie sous nos yeux d’enfants, un monde de petites sculptures au charme suranné et où la névrose règne en maîtresse. Par l’excitation que provoque le concours, toutes les excentricités et tous les travers des personnages apparaissent au grand jour dans une histoire qui traite d’écologie, de manipulation génétique et de la peur panique qu’entretient la communauté face à une attaque qu’elle ne contrôle pas, un monde désuet mais aux questionnements actuels. Le film décrit admirablement ce délire sécuritaire qui anime les personnages, ces derniers mettant en place des protections proprement hallucinantes de sévérité, pour empêcher les lapins d’approcher de leurs potagers. Systèmes qui sont tournés en dérision, par ce qu’ils sont censés protéger : de simples légumes, appuyant ainsi sur l’absurdité des comportements des figurines.
L’intérêt et le charme du film résident aussi dans l’attachement qu’éprouvent Nick Park et son co-réalisateur Steve Box, pour la technique du stop-motion, c’est-à-dire l’animation des figurines image par image. À l’heure du triomphe du numérique et du succès de Toy Story et compagnie, les auteurs continuent à pratiquer ce travail artisanal et complexe qui a fait leur triomphe dans le monde entier (même si le film, sûrement au contact de DreamWorks, co-producteur du film, intègre quelques images virtuelles) et qui est leur marque de fabrique. On comprend la passion qu’ils éprouvent pour ce mode de réalisation contre nature, où l’immobile prend vie, mais où les personnages peuvent même garder, dans certains plans, la trace des doigts qui les animent.
À ce niveau le film peut aussi être vu comme une vaste métaphore de ce travail d’animation. Ce monde sans enfants, lesquels ont été remplacé par des légumes qui occupent le centre de toutes les attentions, quasiment vénérés, semble être ainsi une image de l’amour que portent les réalisateurs à leurs créatures de pâte à modeler. Le film sous-tend cette possibilité de lecture, questionnant aussi sans cesse le rapport animé/inanimé, s’interrogeant sur les manières de donner vie à ce qui reste, en fin de compte, des objets. Dés le générique en forme de photos sur un mur, mais qui mises côte à côte forment une action décomposée, en passant par les tenues légumières (robes en forme de maïs ou de carotte) de Lady Campanula Tottington (la richissime et excentrique organisatrice du concours, dont Wallace est amoureux) ou encore dans la séquence où Gromit donne du mouvement à une pulpeuse marionnette imitant une lapine-garou, plusieurs séquences tendent vers ce questionnement et semblant chercher à passer en revue tous les moyens d’animation qui permettent de créer cette illusion de vie. À ce titre l’univers domestique des deux héros est aussi exemplaire : suivant la logique du tout automatisé, celui-ci est quasi totalement régi par des dispositifs farfelus qui leurs permettent de sortir du lit ou de se préparer rapidement pour une intervention d’urgence, par une sorte de mécanisme géant qui prendrait le relais de leur motricité. Le film semble orienté vers cette idée de l’animé et du mécanisé, qui viendrait se confronter à la fluidité de la construction classique de la mise en scène. Wallace et Gromit n’est pas un dessin animé comme les autres, c’est plutôt une sorte de « sculpture animée » qui joue le jeu de l’illusion, tout en nous montrant l’animation au travail dans un même mouvement.
La névrose des personnages peut nous apparaître plus claire alors, c’est la folie du concours, mais aussi celle de pouvoir se mouvoir qui les excite ainsi. Avant de retourner à l’état végétal, les personnages grouillants de ce film nous invitent à une fête de mouvements et de souplesse. Obsédés par leur réalité de figurines, trop conscients de leur devenir d’objets, ils n’ont que l’agitation, la voix et l’action pour exister. Ils en font trop, car ils se savent condamnés, ne pouvant rester immobiles car cela équivaudrait alors à mourir, ou redevenir une simple chose. Le mouvement, plus qu’une modalité, est un idéal, un règlement de survie. C’est ce qui donne le rythme endiablé du film, toujours porté par une nouvelle idée scénaristique ou formelle et peut-être ce qui rend ces marionnettes de pâte à modeler si attachantes.