Après une première apparition dans un épisode de Wallace et Gromit (Rasé de près) et une série télévisée à sa gloire, Shaun, accompagné de ses amis laineux, a les honneurs du grand écran. Produit par les Britanniques d’Aardman, spécialisés dans l’animation en pâte à modeler, Shaun le mouton condense la maestria burlesque des précédentes réalisations du studio (Chicken Run, Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout) en y ajoutant une lecture acérée du monde contemporain.
Dans la grande tradition burlesque
Dans la campagne anglaise, la routine journalière d’un fermier commence à porter sur les nerfs du troupeau de moutons. Tant et si bien que Shaun le leader élabore un stratagème pour s’offrir un jour de congé. Mais le plan admirablement huilé dérape et le fermier, propulsé dans la ville voisine et devenu amnésique, pourrait bien sans le vouloir mettre en péril l’avenir de ses bêtes.
La vie fermière et son quotidien calibré instaurent dès les premières minutes la cadence dont le film ne se départira pas. En débutant par l’anaphore des réveils matinaux du pauvre troupeau de moutons épuisés, et les dérèglements progressifs de cette mécanique jusqu’à l’absurde, Shaun le mouton s’inscrit d’emblée dans la grande tradition du comique de répétition qui a fait les heures de gloire de Charlot ou Tati. De cette filiation rythmique, accentuée par l’absence complète de paroles intelligibles naît l’agréable sensation d’un spectacle purement visuel d’une redoutable efficacité. Bourré d’idées de mise en scène formidables (les différents camouflages des moutons dans la ville, le running-gag du comptage des ovins), le film empile des scènes comiques irrésistibles. En manœuvrant aussi bien les références cinématographiques (Le Silence des agneaux, Les Évadés ou La Nuit du chasseur) que les obsessions de Lord, Sproxton et Park (le trio à la tête d’Aardman) comme les engins mécaniques démoniaques, Shaun le mouton se veut à la fois une aventure originale et un hommage révérencieux au septième art.
Modeler le monde
Mais envisager ce nouveau long métrage uniquement sous l’angle du comique, aussi percutant soit-il, serait réducteur tant le scénario brasse intelligemment des questionnements contemporains. En interrogeant l’immédiateté de la célébrité à travers les médias et les réseaux sociaux, la récupération mercantile des icônes ou la représentation des communautés ethniques, Shaun le mouton ressemble, derrière ses kilos de pâte à modeler, à un instantané troublant du monde d’aujourd’hui, très loin des trop nombreux films d’animation lénifiants pour enfants. Ce petit troupeau moutonneux observe le monde humain avec naïveté mais pas mièvrerie. Une qualité intrinsèque des films Aardman que ce nouvel essai vient de nouveau rappeler.