Voilà quelque temps que le studio Aardman s’était manifesté sur les écrans hexagonaux – tout au plus avec un sympathique Un sacré pétrin en DVD, une aventure de Wallace et Gromit sans éclat particulier. C’est sans son duo vedette que le studio nous revient : en lieu et place, voici venir les tonitruants pirates menés par le bien nommé Capitaine Pirate, en compagnie de Polly, son dodo-perroquet. Et franchement, on n’y perd pas au change.
Ô, la belle vie que celle d’un pirate ! Les abordages (avec sabre), le cri des goélands, le grincement des cordages, hauts dans la mâture ! Les SOIRÉES JAMBON ! Pourtant, le Capitaine Pirate ne se contente pas de cette vie de flibuste libre : il lui faut le trophée suprême, la reconnaissance de ses pairs – le trophée du Pirate de l’année. Le problème, c’est que non seulement les sept mers sont sillonnées par des pirates déjà redoutables, mais en plus le Capitaine Pirate, bonhomme et débonnaire, joue d’une guigne perpétuelle et n’engrange pas le moindre butin. À la face des cieux, le poing serré, le Capitaine Pirate lance cette terrible imprécation : est-il condamné à n’avoir, sur son étagère à trophée, que la médaille du meilleur raconteur d’histoire drôle avec une pieuvre dedans ?
Il va donc falloir au Capitaine Pirate (flanqué de ses fidèles Pirate qui aime les Chatons et les Couchers de Soleil, Pirate aux Hanches étonnamment Plantureuses et de son second, logiquement appelé Numéro Deux) un plan original pour amasser suffisamment de butin – un plan qui comprendra notamment le perfide et calculateur Charles Darwin… Il n’en faut pas plus au studio Aardman pour déployer l’inventivité de son génie burlesque dans un double cadre idéal : le monde de la flibuste, et l’Angleterre victorienne.
La créativité du studio n’a, semble-t-il, pas de bornes : on en verra la preuve dans le rythme échevelé de ce nouveau film, qui enchaîne, sans le moindre temps mort, les péripéties. Mieux encore, si certaines sont très attendues, dans le canon du genre, Les Pirates !… n’est pas sans ménager des surprises tout à fait réjouissantes. Le sens du burlesque propre aux productions Aardman est également présent, très équilibré : les gags fourmillent, au premier comme au second plan (à tel point que plusieurs visions du film s’imposent certainement), mais ils ne forment jamais le centre de la dynamique du film. Les Pirates !… est avant tout là pour raconter une histoire du répertoire de la haute aventure.
Le film, en effet, se pose en avatar à la nostalgie énergique des films de capes et d’épées et de piraterie : un univers aux valeurs légèrement surannées, à l’héroïsme grandiose et naïf d’un Scaramouche ou d’un Princess Bride. Le film assume cette naïveté, cette intensité, l’intègre dans la course de son récit sans distance, ironie, ou condescendance – la rencontre de cet univers et de l’humour subtil du studio Aardman s’avère extrêmement prégnante.
Plus encore que la maîtrise du burlesque à laquelle les productions Aardman nous avaient habitués, c’est le sous-texte du film qui est particulièrement réjouissant. Avec Le Mystère du lapin-garou, il s’agissait d’égratigner – gentiment – les inégalités de classe. Tout Les Pirates !… sourd d’une volonté manifeste de critiquer l’Angleterre victorienne, selon un axe somme toute assez évident : celui de la frustration sexuelle. Toutes les actions des personnages sont ainsi, sous couvert de différentes justifications plus ou moins crédibles, et qui s’inscrivent dans la dynamique narrative du film, fondées par le désir sexuel, ou la frustration. Des dialogues subtils – mais pas forcément très fins, il ne faut pas confondre – et des indices visuels parsèment ainsi le film, qu’il faudra décidément voir plusieurs fois pour tout y repérer.
Muni de plusieurs niveaux de lectures remarquablement imbriqués les uns dans les autres, héritier robuste et intelligent d’une cinéphilie jouisseuse, Les Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout bénéficie en plus d’un casting vocal tout à fait pertinent, même en VF où le dandysme tranquille d’Édouard Baer s’accorde fort bien à la personnalité du Capitaine Pirate. Une belle réussite, en somme.