Imaginé avant tous ses autres films, Le Labyrinthe de Pan est l’aboutissement d’un projet scénaristique datant de la jeunesse de Guillermo del Toro. N’ayant plus, après Mimic et Hellboy, à prouver sa maîtrise des ficelles du blockbuster fantastique, il revient dans la veine plus personnelle, visuellement riche, sombre et dérangeante de L’Échine du diable.
Espagne, 1944. Alors que le franquisme a triomphé en Espagne, la résistance républicaine brûle de ses derniers feux dans les maquis. La petite Ofelia est envoyée avec sa mère enceinte auprès de son beau-père, officier franquiste, qui doit déraciner et éliminer une poche de résistance terrée dans la forêt. Passionnée de contes de fées, Ofelia n’est pas plus surprise que cela lorsque le petit peuple de l’endroit la contacte, et lui annonce qu’elle est la princesse perdue depuis des éons d’un royaume féerique perdu. Alors que la guerre fait rage autour d’elle, elle doit se soumettre à trois épreuves pour prouver effectivement sa descendance royale.
Le fantastique lorgne de plus en plus du côté du conte de fée, depuis les succès phénoménaux du Seigneur des anneaux et de Harry Potter. C’est cependant plus du côté de Tideland que de celui des Frères Grimm qu’il faudra chercher une parenté pour le dernier film de Guillermo del Toro. Celui-ci est pour lui l’aboutissement d’un scénario mûri depuis ses premières années de réalisateur, scénario qui a largement inspiré L’Échine du Diable. Del Toro l’avoue lui-même : la thématique centrale est la même dans ces deux films. Il s’agit pour lui d’une réflexion sur la monstruosité, avec l’idée – omniprésente dans le fantastique depuis Le Fantôme de l’opéra jusqu’au Cabal de Clive Barker – que, de la créature ou de l’humain, le plus monstrueux n’est pas toujours celui qu’on croit. Le capitaine Vidal, campé avec une inquiétante intensité par Sergi López, est évidemment le véritable monstre du film.
Le réalisateur use et abuse dans son Labyrinthe de Pan des effets spéciaux. Heureusement, là où les possibilités virtuellement infinies des effets actuels rendent creux et policés de nombreux films à effets – Narnia, ou les Harry Potter justement – Del Toro parvient à offrir un spectacle somptueux et baroque. L’univers visuel du film est fortement inspiré d’un illustrateur de la seconde partie du XIXe siècle, Arthur Rackham. On retrouve dans le Labyrinthe de Pan l’univers détaillé et onirique du dessinateur. Plus le film avance, et moins la petite fille, et avec elle le spectateur, ne ressent de peur et de révulsion face aux créatures du monde féerique. Dans le même temps, la nature inquiétante des militaires et de l’officier s’affirme toujours plus, psychologiquement autant que visuellement. Ofelia est toujours plus rassurée dans l’environnement pourtant inquiétant du labyrinthe, tandis que Sergi López, entre son propre égorgement joué devant son miroir et de réelles mutilations baroques, devient chaque instant plus monstrueux.
En filigrane, tout se joue dans cette opposition entre le monde vu – et souhaité – par la petite fille, et le monde réel, violent et barbare. C’est aussi une opposition visuelle : plus le film avance, et plus les humains sont sales, sombres, rendus monstrueux par leurs actes autant que par leur apparence. Le monde du rêve de la petite fille tend quant à lui toujours plus vers le clinquant, pour connaître son apogée graphique alors que dans le monde humain, la situation est des plus scabreuses, noires et désespérées. La question se pose : dans quelle mesure Ofelia ne s’est-elle pas créé un monde de rêve pour échapper à la réalité sordide de sa vie de famille détruite ? Si c’est le cas, le film de Del Toro pose ce rêve comme une alternative crédible à la solitude de l’enfance et à la terreur d’une réalité trop dure. Mais le prix à payer est bien lourd…
Le Labyrinthe de Pan est manifestement un film fétiche pour son réalisateur. Il prend son temps avec son intrigue, se fait plaisir à montrer sa foire aux monstres à l’écran, la met en scène avec une heureuse emphase. Visuellement riche, narrativement lent, le film de Guillermo del Toro savoure la possibilité de montrer à l’écran un véritable conte de fées, avec ce que cela signifie d’ambiguïté, de morbide, et parfois d’un soupçon de ringardise. Pour un réalisateur attendu au tournant entre deux Hellboy par un public formaté, c’est une démarche courageuse de cinéphile gourmand. Tant mieux pour nous.