On n’annonce jamais une blague en disant « vous allez voir, vous allez rire » : c’est le plus sûr chemin vers le four intégral. De la même façon, arborer fièrement sur une affiche de film d’horreur « vivez l’expérience cinématographique la plus terrifiante », c’est tendre le bâton pour se faire battre. Et il y a bien de quoi taper sur ce remake d’Evil Dead. Toutefois, le plus intéressant est que cette tagline bien exagérée ouvre la piste à de tristes réflexions sur l’état de l’horreur cinématographique actuelle.
Difficile de venir après Sam Raimi. Le réalisateur est parvenu, avec les trois films de sa saga d’Evil Dead, à influencer de manière importante la forme du cinéma de genre, chacun à sa manière. De là, une réputation colossale qui fait de ces films une cible à remake des plus risquées. Alors, certes, l’équipe Raimi (Sam lui-même, son complice Robert G. Tapert, et Sa Majesté Bruce Campbell) à la production permet de se rassurer sur, non pas la fidélité du remake au matériau original, mais sur l’intelligence et l’amour du genre à l’œuvre. C’est finalement tout ce qui compte.
Que s’est-il donc passé ? Mystère. Au scénario en compagnie de Rodolfo Sayagues, le réalisateur Fede Alvarez garde le squelette original (une maison dans les bois, des démons et du gore) et tente d’y greffer une nouvelle épaisseur scénaristique, qui a priori pourrait être bienvenue. Les victimes sont désormais des ados : mode du jeunisme dans le cinéma d’horreur oblige. Le livre démoniaque déclenchant l’épouvante est lui aussi étoffé, devenant une sorte de grimoire d’invocation. Voilà donc des prémices plutôt prometteuses, en attendant que se déchaîne l’enfer tant attendu…
Hélas, de lourdes chaînes entravent Fede Alvarez : le réalisateur n’ose pas aller suffisamment loin dans le renouvellement du film. Ici et là, on repérera les moments de bravoure du film original (le médaillon, la tronçonneuse, les arbres violeurs, la main tranchée, un plan ou deux repris de la folie formelle du Sam Raimi d’alors), plus ou moins bien intégrés. Ces références prennent-elles trop de place ? Toujours est-il qu’Alvarez rame férocement pour développer correctement ses apports à la mythologie du film, le vidant finalement de tout contenu crédible. Reste donc l’accumulation gore, elle bien au rendez-vous, mais curieusement désamorcée par une mise en scène incapable de susciter la plus petite frousse. On s’ennuie donc ferme à voir nos protagonistes se faire posséder, mutiler, démembrer sans que cela fasse ni peur ni rire : les deux piliers des Evil Dead époque Raimi, joyeusement ressuscités dans Jusqu’en enfer, sont absents.
Cet Evil Dead peut donc faire office de cas d’école, donnant une idée de la raison pour laquelle les remakes des films cultes des années 1980/90 sont le plus souvent horriblement ratés : les concepteurs de ces films sont pris entre deux feux. D’un côté, un désir commercial de servir la soupe à son public-cible, les adolescents, de l’autre, l’ombre titanesque de l’idée même de film « culte » (qui est si bien symbolisée par la reprise, dans la tagline citée plus haut, de la terreur proverbiale suscitée par l’Evil Dead de Sam Raimi). Il faut s’y faire : strictement considérés, ces deux parti-pris sont inconciliables. Nul réalisateur ne saura faire une œuvre tant soit peu personnelle sans s’affranchir de l’ombre du film original, personne ne pourra dire quelque chose de son époque en étant coincé dans la génération d’avant. Soyons lucides : une partie non négligeable du public demande, de façon tout à fait irrationnelle, que la fidélité au matériau de base soit un critère de qualité. De là, le traitement plutôt frais réservé à Rob Zombie pour ses pourtant remarquables Halloween et Halloween II. John Carpenter avec Halloween et The Thing, Wes Craven avec Les Griffes de la nuit, Sam Raimi et ses Evil Dead ont tous fait preuve d’audace et d’inventivité. C’est ce qui, profondément, a valu à ces films leur statut actuel, et c’est ce qui manque à tous leurs continuateurs, Fede Alvarez parmi eux.