Qui l’eût cru ? Après avoir été touché par l’épidémie de respectabilité chez les réalisateurs bis des années 1980 – avec notamment David Cronenberg et Peter Jackson –, Sam Raimi délaisse le style pop de ses Spider-Man pour revenir à ses premières amours : le gore cartoon des années Evil Dead. Comme un caprice de gosse, gratuit, un peu bêta, mais réjouissant et drôle – et peut-être même un peu plus que ça.
Être réalisateur bis dans les années 1980, cela tenait surtout à deux choses : œuvrer dans le fantastique, et avoir sa signature. John Carpenter avait son style propre, rentre-dedans et franc-tireur ; David Cronenberg ses obsessions cliniques et corporelles ; Peter Jackson son amour du gore crade, drôle et régressif ; Brian Yuzna son style quant à lui purement gore… Pour Sam Raimi, c’était simple : l’homme était avant tout le réalisateur d’un diptyque (pourvu d’un troisième épisode en demi-teinte) devenu un genre en soi : les Evil Dead. Le premier épisode, réalisé par un Sam Raimi âgé de 22 ans, était tout simplement un implacable film de monstre à la mise en scène redoutablement efficace, hystérique et inventive – certainement l’un des sommets de ce que le cinéma de genre fantastique avait enfanté pour pallier le manque de moyens lorsqu’on a un trop-plein d’imagination. Quelques années plus tard, Raimi signait une suite-remake redoutable, et qui demeure certainement le meilleur film de Sam Raimi cinéaste d’horreur, avec une tendance prononcée au cartoon – gore méchant, drôle et tout de même assez cradingue.
Et puis, avec le temps, les fans de la première heure de ce Sam Raimi-là, avec son imagination en roue libre, le mors serré dans les dents ont vu s’éloigner le réalisateur, avec des projets plus ou moins heureux comme Mort ou vif, Intuitions ou les Spider-Man. Alors, Jusqu’en enfer, on n’osait y croire : jugez plutôt. Christine Brown, jolie banquière de son état, convoite une position supérieure. Pour cela, lui rappelle son chef, il faut savoir être sans pitié – un peu comme ce jeune collègue nouvellement arrivé et tellement bien vu. Alors, lorsqu’une petit vieille décrépite se présente pour solliciter la bienveillance de Christine, la belle s’endurcit et lui refuse son aide. Outrée, la vieille femme, quelque peu sorcière, lui lance une terrible malédiction : dans trois jours, un démon viendra s’emparer d’elle pour la traîner en enfer…
Jusqu’en enfer, pour faire simple, c’est Evil Dead IV avant l’heure : cadrage outré, maquillages gores, humour (très) méchant et (très très) bête, mise en scène hystérique et survoltée, et surtout une belle occasion de se faire peur. Car Jusqu’en enfer tient, comme les Evil Dead, de la bonne vieille recette du train fantôme : on rit, on se fait peur, et on sait très bien qu’on ne risque rien – ce qui n’est pas le cas de notre belle héroïne. Un petit peu comme si Sam Raimi, ayant avec succès passé l’épreuve de Spider-Man – qui consistait pour lui à conserver son tempérament de sale gosse dans une grosse machine hollywoodienne, qui plus est dotée de millions de fans – s’amusait à revenir à ses anciennes amours, avec un peu de respectabilité en plus.
Alors certes, on peut se poser la question : à quoi bon ? La page est tournée de l’époque où les Evil Dead ont forgé tout un pan de l’influence cinématographique et de la mise en scène moderne, nul n’est besoin de revenir dessus aujourd’hui. Mais qu’importe ? Présenté en séance de minuit au festival de Cannes, le film a partagé le public : les uns, public averti, ont applaudi à tout rompre, un grand sourire de gamin aux lèvres ; les autres… ont certainement eu une sacré surprise. Peut-être bien que Sam Raimi a tout juste voulu ne rien faire de plus que cela : ressortir un film de sale gosse, très estampillé 1980’s – et à peine meilleur techniquement, puisque les effets numériques sont tout de même passablement ratés – après avoir conquis la planète entière, et de façon plus importante, Hollywood. Après The Descent, Neil Marshall a tout de suite repris le chemin du bis avec Doomsday : honneur à lui de n’avoir pas voulu quitter le giron du cinéma de genre, quoi qu’il en ait coûté à sa carrière. Sam Raimi s’est quelque peu égaré avant de revenir dans ce droit (?) chemin, faisant par là-même un pied de nez plutôt audacieux à Hollywood : pourvu que la suite de sa filmographie reste aussi talentueuse et décomplexée, on lui pardonne aisément.