Première réalisation d’Alex Garland, qui œuvre déjà au cinéma de genre anglais depuis plus d’une décennie en tant que scénariste (28 jours plus tard et Sunshine de Danny Boyle notamment), Ex Machina s’est fait remarquer cette année à Gérardmer en y décrochant le prix du jury. Face à des tentatives autour de la robotique aussi décevantes que Chappie ou l’inégale série Real Humans, Garland affiche ouvertement la noble intention de centrer son film sur cette seule et unique question : celle de la différence entre une intelligence artificielle et l’esprit humain. Dommage que cette intention ne demeure que sur le papier, et que son film se voie justement privé de vie.
Nouvelle Ève
Caleb est un jeune programmeur choisi pour passer une semaine avec Nathan Bateman, PDG de la grande multinationale pour laquelle il travaille, nommée Bluebook (pour ne pas l’appeler Google). Le véritable but de l’opération est en fait de le confronter à une intelligence artificielle nommée Ava se nourrissant des données accumulées par le fameux moteur de recherche, afin de déterminer si elle est réellement indissociable d’un être vivant. Si l’idée est loin d’être novatrice, il faut bien reconnaître l’intérêt de s’en ressaisir en 2015, alors que ce fameux réseau mondial censé être le sésame ouvrant la porte vers l’intelligence artificielle existe désormais réellement. Les réflexions métaphysiques sur le sujet peuvent alors être dépouillées de tout folklore technologique farfelu, pour mieux se concentrer sur l’essentiel. Également scénariste, Garland convoque ainsi toutes les références nécessaires à prouver qu’il ne compte pas se limiter à une simple série B. Prométhée bien entendu, mais aussi le fil d’Ariane ainsi que plusieurs contes, de Barbe Bleue à l’incontournable Pinocchio dès lors qu’il s’agit de parler de robots vivants, se succèdent à l’occasion des très longs dialogues occupant la majeure partie du film.
Car verbeux est un mot faible pour décrire Ex Machina. Enfermés dans un centre de recherche ultra stylisé et labyrinthique, les personnages passent leur temps à évoquer les concepts de vie, de mort, d’amour, et bien entendu de Dieu. Mais pourquoi pas après tout : le test de Turing censé permettre de distinguer une intelligence artificielle d’un être humain repose bien sur des conversations uniquement. Le film se voudrait même une véritable expérimentation dont le spectateur serait témoin, par son découpage en chapitres introduits par des intitulés scientifiques (Ava : session 1, Ava : session 2, je vous laisse deviner la suite). Garland nous met ainsi ouvertement au défi de ne pas croire en la vie de son robot. Et ses complices de personnages ne cessent d’ailleurs de plaider la cause du film en s’émerveillant constamment devant la vitalité incontestable d’Ava.
Les lois de l’attraction
Pourtant ni elle ni aucun des autres personnages ne parviennent à s’émanciper de la première impression qu’ils dégagent. L’inventeur génial est bien entendu arrogant et excentrique, le jeune programmeur impressionnable et sensible, Ava est quand à elle séduisante et curieuse. Leurs questionnements s’avèrent très vite dénués de véritables interrogations, et fournissent uniquement des prétextes à montrer mathématiquement à quel point Ava est effectivement vivante. Et la gêne se fait croissante devant la proclamation de plus en plus insistante de son aura sexuelle, tandis que tout dans la mise en scène du film demeure désespérément figé et glacial. Ex Machina, au même titre que Her, échoue totalement à nous faire croire au pouvoir d’attraction de son robot. Il faut même reconnaître à Spike Jonze de s’être permis plus de libertés quant à la sexualisation de son OS, c’est dire. L’attirance est censée naître de ce qui est deviné, espéré, fantasmé. Or ici, tout est visible, exposé en pleine lumière, à l’image de ce corps parfait de machine scintillante, entièrement visible dès la première apparition de Ava. L’érotisme d’Ex Machina se retrouve ainsi réduit à celui d’une affiche publicitaire, basé sur un voyeurisme hypocrite niant toute perversion. Assimilée à une sorte d’amour adolescent, la fascination de Caleb pour le robot est totalement dénuée de trouble, relevant une fois de plus de la déclaration d’intention scénaristique imposée au spectateur, plus que de la mise en scène d’une relation entre deux personnages.
Et cela se gâte d’autant plus quand on commence à lire entre les lignes. Au premier abord, le seul véritable enjeu d’Ex Machina consiste à savoir in fine qui manipule qui. Et bien entendu, tout le monde trompe tout le monde, sauf qu’à ce petit jeu-là, la femme (robot ou pas) reste experte en la matière, c’est bien connu. Pendant ces sept jours de gestation, le Dieu créateur, interprété par un Oscar Isaac en plein show, va ainsi perdre le contrôle de sa créature avant tout guidée par la curiosité. Aucune place n’est laissée à l’imaginaire du spectateur dans son rapport avec Ava. Les événements s’enchaînent avec la rigueur d’une mécanique prophétique immuable, et une fois encore, nous assistons impuissants à une variation du mythe de la création. Malgré son appartenance à une science-fiction dite d’anticipation, Ex Machina se trouve ainsi trop appesanti par sa mise en scène verrouillée et ses incessantes citations bibliques pour parvenir à inventer quoi que ce soit.