Tous les films d’Alex Garland racontent peu ou prou la même chose. Un personnage déboussolé, souvent névrosé, arrive dans un lieu coupé du monde où se produisent d’inquiétants phénomènes (les pièces cachées du laboratoire-prison d’Ex Machina ou encore la « Zone X » d’Annihilation, jungle hostile et psychédélique). Dans Men, Garland opte pour un cadre plus réaliste en ancrant son récit autour d’une maison de campagne anglaise. Le passage vers l’autre monde s’opère sans qu’Harper (Jessie Buckley), la jeune femme au cœur de l’intrigue, ne s’en rende compte immédiatement. Chose assez rare à l’échelle du cinéma de Garland, l’incursion vers le cinéma d’épouvante produit ici au moins une belle scène. À la fin d’une balade en forêt, Harper se retrouve devant un immense tunnel. Pénétrant le lieu d’un pas hésitant, elle y compose une petite symphonie en jouant avec les échos produits par le souterrain, avant qu’une ombre n’émerge de l’obscurité et ne commence à la traquer. Tout n’est cependant pas parfait, loin de là : Garland alourdit sa séquence en filmant en gros plan le reflet d’Harper sur une flaque d’eau, histoire de nous rappeler que, oui, la jeune femme est bien en train de franchir une ligne (ou de se dédoubler, cf. la fin d’Annihilation).
Un honnête film de genre, dans lequel l’absence de lumière suffirait à figurer le gouffre intérieur d’Harper, rongée par la culpabilité à la suite du suicide de son ex-compagnon, se cachait sans doute dans la pénombre de ce souterrain. Mais transiter d’un monde à l’autre, chez Garland, ne recouvre pas qu’une perspective strictement fantastique : il s’agit surtout de plonger dans l’inconnu pour se regarder dans un miroir. C’est le cas dans Men, dont le titre synthétise le programme métaphorique pesant dans lequel l’intrigue se noie : le traumatisme d’Harper, qui va devoir faire la paix avec ses propres démons, provient de la violence maladive des hommes (son ex-compagnon l’ayant frappée avant de se suicider sous ses yeux). Une fois la menace bien identifiée (dans la bourgade, il n’y a que des figures masculines, jouées en plus par le même acteur), le film prend la forme d’un grossier home invasion à l’imagerie crypto-chrétienne, bourré de boursouflures symboliques et psychologisantes qui ne cessent de rappeler à quel point le trait de Garland, en dépit des années, reste encore baveux.