Arthur, Morgane, Lancelot, Galahad, Guenièvre: des noms magiques qui résonnent depuis la nuit des temps dans les forêts bretonnes, anglaises ou irlandaises, selon les légendes, les cultures ou les auteurs… De Chrétien de Troyes, premier romancier français qui narra l’épopée de Lancelot, aux Monty Python qui firent combattre le roi Arthur avec les chevaliers qui disent «ni» ou des lapins sanguinaires, chacun s’empare comme il peut de cette histoire de splendeur et de magie pour les digérer à son aise. À Hollywood, il y eut l’époque dorée des Chevaliers de la Table Ronde et du beau Robert Taylor; trente ans plus tard, John Boorman y trouva son Graal. Et l’aventure, bien qu’imparfaite, le conduisit à un film plutôt étonnant.
Si le nom de Merlin l’enchanteur n’évoque pour vous que le mignon (mais niais) dessin animé disneyien, ce film vous est destiné. En 140 minutes précisément, John Boorman réussit pour le moins à faire œuvre de pédagogie. Aucun des hauts faits de la geste arthurienne ne manque à l’appel: comment Arthur, fils d’Uther Pendragon, devint roi en parvenant à extraire l’épée magique Excalibur de la pierre dans laquelle elle était enfoncée; comment il réunit autour de lui (et d’une table) les meilleurs chevaliers de son temps (dont le preux et imbattable Lancelot); comment sa dulcinée Guenièvre le trompa avec son meilleur ami, etc. Tous les éléments de la légende la plus répandue (car le roi Arthur, dont on ne sait s’il exista ou non, fut l’objet de myriade d’histoires) apparaissent comme d’immenses clins d’oeil au connaisseur, ravi de retrouver la mystérieuse Dame du Lac, la méchante fée Morgane ou le prodigieux Saint-Graal, et de découvrir les traits durs de noms prestigieux, Gauvain, Merlin, Perceval, Mordred…
Quand John Boorman tourne Excalibur en 1981, il est déjà auréolé du succès critique de Délivrance (1972). Il bûche alors sur une adaptation du Seigneur des anneaux, qu’il doit abandonner en cours de route, faute d’avoir pu obtenir les droits de l’ouvrage. Qu’à cela ne tienne: il se rabat (pour notre plus grand soulagement) sur le roi Arthur et ses chevaliers. D’une épopée à l’autre, il n’y a qu’un pas et l’atmosphère fantastique adoptée, comme les paysages irlandais, aux immenses plaines qui semblent ne jamais finir ou aux forêts sombres dissimulant danger et sorcellerie, auraient tout aussi bien pu convenir à la quête de Frodon et d’Aragorn. Pour incarner ses héros aux noms célèbres, Boorman choisit d’illustres inconnus: Liam Neeson (dont c’est le premier film) en Gauvain, Helen Mirren (l’Elizabeth II de The Queen) en Morgane, Gabriel Byrne en Uther Pendragon… Et si les visages de ces comédiens sont aujourd’hui familiers, la fraîcheur de leur jeunesse les sauve de la performance attendue, permettant à Boorman de réussir son pari de faire disparaître l’acteur derrière son personnage.
Cet Excalibur très 80’s se pose en contrepoint des films d’aventures réalisés par l’Hollywood des années 1950 sur le même thème: si la fascination pour un Moyen-Âge de bravoure et de tournois flamboyants demeure, le Technicolor d’Ivanhoé ou de Prince Vaillant a laissé place à des couleurs plus sombres ou plus agressives, du vert brumeux (que Boorman retrouvera pour La Forêt d’émeraude) à l’orange aveuglant. La cour menée par le chevalier à sa dame (et couronnée, le plus souvent, par un pudique baiser) devient amour violente (Lancelot qui s’automutile pour se punir du désir qu’il éprouve envers Guenièvre) sans toutefois verser dans l’érotisme de bazar ou la masturbation sanguinolente — tares de nombreux films du même genre. John Boorman, dont l’implication dans le tournage frisait le perfectionnisme schizophrénique (au point de provoquer une crise de nerfs chez le caméraman), a fignolé chaque minutieux détail, tirant même partie de la pluie torrentielle qui s’était abattue sur le plateau pour créer une atmosphère moite et oppressante. Malheureusement, le travail sur les effets spéciaux apparaît à l’ère du numérique un tant soit peu ringard, voire kitsch, telle la cavalcade au ralenti d’Uther Pendragon sur la fumée du dragon, ou les envolées lyriques de la musique accompagnant chaque haut fait (Excalibur, le Saint-Graal). Difficile même parfois de ne pas songer à l’excellente parodie des Monty Python, Sacré Graal, réalisée six ans plus tôt, et de ne voir dans le château de Camelot qu’une «maquette» (comprenne qui pourra).
Le plus surprenant, dans Excalibur, est le ton adopté par Boorman. La grandiloquence de la mise en scène confinant parfois au ridicule est en effet compensée par un second degré déroutant, qui fausse les pistes. Boorman fait-il allégeance à la geste arthurienne ou en moque-t-il les invraisemblances? Le personnage de Merlin, notamment, en est le plus bel exemple: bien loin de l’image du magicien tout-puissant et supérieurement intelligent à la Gandalf, il apparaît comme un être caractériel, râleur, maladroit aux répliques rien moins que mordantes («J’ai jamais vu ça», dit-il devant Arthur s’agenouillant devant son adversaire pour se voir ordonner chevalier). La réalisation elle-même semble hésiter entre le réalisme pur démystifiant la prétendue élégance de la noblesse moyenâgeuse en en montrant crûment le quotidien, et l’onirisme émerveillé avec l’utilisation de filtres de couleurs et une brume omniprésente transfigurant les hommes en êtres surnaturels et fantasmagoriques. Face à cette avalanche de moyens et de significations, on est en droit de préférer la simplicité charmante et prodigieusement romantique des films de Richard Thorpe. Excalibur ne fait pas pour autant honte à l’un des plus beaux mythes de l’humanité.