Avec Fairytale, Aleksandre Sokourov propose une nouvelle ronde à travers l’Histoire dans la lignée de L’Arche russe et de Francophonia. À l’espace du musée succède ici un purgatoire fantasmagorique au sein duquel déambulent les figures impérialistes majeures du milieu du XXe siècle : Hitler, Staline, Churchill, Mussolini. Le dispositif très singulier du film, qui mêle archives et incrustations numériques (les images des chefs de guerre se superposent à des décors dessinés qu’ils semblent parcourir), intrigue dans un premier temps. Sa plasticité composite lui donne les atours d’un mashup qu’aurait signé Antonio Maria Da Silva, chez qui la réunion de personnages célèbres est rendue possible par la magie du trucage et du montage (cf. la trilogie Hell’s Club). Le « conte de fées » de Sokourov, en s’ouvrant sur l’agonie d’un Christ alité après sa crucifixion, est toutefois beaucoup plus lugubre et mortifère. Les personnages y divaguent et tournent en rond sans savoir où aller, en attendant le jugement dernier. Ils ressassent les mêmes atermoiements sur la grandeur de leur destinée en plus d’une poignée d’anecdotes : tandis que Staline et Mussolini débattent du socialisme ou du léninisme, Hitler confesse avoir voulu épouser la nièce de Wagner, son compositeur favori, etc. Un imposant travail de doublage tente ainsi de compenser les limites découlant du choix, annoncé dans un carton introductif, de ne recourir qu’à des images d’archives. La contrainte technique a beau se faire la matrice d’un impressionnant travail d’incrustation, elle asphyxie ceci dit surtout la mise en scène, quasi entièrement constituée de gros plans dévolus aux dialogues.
En résulte un film bavard, qui radote scène après scène. Si une poignée d’échanges font mouche (notamment ceux teintés d’une pointe d’humour, comme cette séquence où Hitler lance nonchalamment une grenade sur un moulin en flammes), Fairytale s’épuise très vite. Dans la dernière partie, une scène musicale tente de briser la monotonie en suivant l’arrivée d’une foule qui chante à la gloire des chefs de guerre, réunis dans les hauteurs d’une montagne pour contempler cette masse, informe et fantomatique, déferler comme les vagues d’un océan en pleine tempête. Mais Sokourov déçoit à nouveau et décide, pour donner davantage d’intensité à une mise en scène atone, d’augmenter drastiquement le volume sonore. Un tel passage en force ne changera rien au sentiment d’avoir assisté à un film raté, pris au piège de son propre dispositif.