On avait quitté Augustin il y a presque dix ans, en 1998, alors qu’il était devenu le roi du kung-fu le plus français de Chine. On le retrouve avec plaisir, sur le même vélo, le visage auréolé d’une même candeur, en metteur en scène pour entreprises : car l’art, chez Anne Fontaine, se fait avec les petits et les oubliés. En l’occurrence, l’oubliée est Odette Saint-Gilles, ancienne vedette de l’opérette qui croupit dans un foyer pour troisième âge. Loin de ses tentatives plus (Entre ses mains) ou moins (Nathalie…) réussies de comédies noires, Anne Fontaine brille dans le registre qui lui va le mieux : la comédie pure, mais pas si légère que cela.
Il n’est plus terrifié par les rapports tactiles mais toujours aussi rêveur : Augustin Dos Santos, le personnage récurrent d’Anne Fontaine est de retour. On retrouve au début du film la même attirance pour les pays asiatiques, et la même réflexion sur les questions d’appartenance sociale et culturelle qu’Augustin, roi du kung-fu traitait. Le film pose une question simple : qui est-on dans un monde qui ne vous reconnaît pas ou plus ? Augustin travaille dans un grand hôtel de la place Vendôme, à l’entretien de piscine, mais est passionné de théâtre : il gagne sa vie peu ou prou en montant des spectacles pour des salles des fêtes ou des entreprises suédoises qui lui demandent un travail « typiquement français ».
Avec un acteur français d’origine pied-noir, une vedette bulgaro-américaine et une ancienne star du music-hall, il va donc mettre en scène une tragédie classique française elle aussi oubliée. On est ce que l’on fait ici, quelle que soit la terre d’où l’on vient. La réflexion est légère mais bien présente. Elle rappelle d’ailleurs le précédent épisode des aventures d’Augustin qui allait à l’étranger dans le quartier chinois. Cela n’est cependant pas la vraie finalité du film : Anne Fontaine veut prouver, et y parvient, que faire rire les honnêtes gens avec simplicité et subtilité est possible. Car, avant tout, Nouvelle chance est une comédie française réussie, chose assez rare pour le souligner.
Augustin rencontre donc Odette Saint-Gilles qui a « un corps de cent ans dans une tête qui n’en a pas vingt », et Bettina, qui a un corps, très beau au demeurant, de quarante ans et rêve d’hommes qui ont la vingtaine. Elles recherchent toutes deux une jeunesse, pour l’une lointaine et perdue dans une cécité grandissante et dans le porto, pour l’autre pas assez lointaine pour en avoir fait le deuil. La confrontation des deux rapports à l’âge est inévitable : si Bettina respecte Odette et se souvient de ses disques, elle la méprise pour être ce qu’elle deviendra un jour. Dans l’univers comique d’Anne Fontaine, on observe toujours une certaine noirceur, voire une cruauté.
Mais c’est dans un comique particulier que l’on aime la réalisatrice : point de cavalcades grandiloquentes dans ses tableaux, mais des dialogues ciselés, des personnages plus fouillés qu’ils n’y paraissent : les deux femmes en font partie, mais soulignons la performance de Jean-Chrétien Sibertin-Blanc en Augustin, faussement inexpressif et réellement tordant avec ses costumes protestants et ses mimiques intelligentes. Anne Fontaine aime ses acteurs et se centre sur eux : elle met Arielle Dombasle (qui a la bienveillance d’être sobre) dans la lumière, et se rapproche sans cesse de l’impériale Danielle Darrieux dont la chevelure blanche et les yeux pétillants suffisent à la rendre radieuse, pour mieux la dorloter, la montrer aussi, de manière à ce qu’on ne l’oublie pas comme Odette oublie ses répliques.
Chaque séquence de Nouvelle chance est ponctuée par une ballade à vélo d’Augustin : comme dans ses précédents films, Anne Fontaine montre un Paris de passage, préférant les intérieurs bouillonnants aux extérieurs trop encombrés. Elle filme simplement des êtres simples, sans démonstrations dramatiques visuelles ou musicales. Il y a quelque chose des Quatre aventures de Reinette et Mirabelle d’Éric Rohmer (dont Arielle Dombasle fut d’ailleurs une des actrices fétiches) dans ce film : une légèreté silencieuse, des gestes qui en disent long… et quelques irrésistibles scènes notamment une où Jack Lang joue à merveille l’ancien ministre préoccupé par la création artistique.
On est pris jusque dans les dernières minutes par l’émotion de cette petite histoire et de Danielle Darrieux à qui est consacrée la dernière scène, magique, de cabaret désuet et élégant qui se termine sur un hommage au cinéma français des années 1930 dans un fondu à la Decoin. Anne Fontaine n’est finalement jamais aussi émouvante et profonde que dans la frivolité.