Avant la projection de First Love à Cannes, Takashi Miike annonça une mauvaise nouvelle au public : il n’y aurait dans ce film ni violence, ni sang déversé, ni têtes qui roulent. Il s’agirait purement de l’histoire de la naissance d’un amour. Cette annonce se trouve cependant démentie dès les premières minutes et apparaît rétrospectivement représentative de la facétie du film, qui regorge de faux-semblants et de surprises. Dans un Tokyo glauque et à la lumière jaunâtre, Leo, boxeur, vient d’apprendre qu’il est atteint d’une tumeur au cerveau et que ses jours sont comptés. Il ne connaît pas encore Monica, toxicomane contrainte de se prostituer pour effacer la dette que tient son père envers la pègre locale. La jeune femme va se retrouver au centre d’un plan élaboré par un yakuza et un policier, décidés à se partager un paquet de drogue puis à se débarrasser d’elle. Rien ne va cependant se dérouler comme prévu et, par accident, Leo va rencontrer Monica et l’accompagner dans sa course.
Miike nous plonge alors dans une nuit en enfer qui tend vers le fantastique, où chaque membre de la pègre tente de profiter des autres en jouant un double jeu, si bien d’ailleurs que l’identité de chacun semble sujette à des métamorphoses. Seule semble immuable la bestialité des criminels, qui se manifeste par des postures monstrueuses et des cris inhumains. Miike déploie ainsi un répertoire d’une inventivité débordante, caractérisé par un goût marqué pour la violence grotesque. On peut par exemple citer cette scène où un yakuza tente de s’emparer d’un pistolet resté dans sa propre main amputée, ou encore celle où un incendie est déclenché à retardement par un petit chien-robot. Par ailleurs, la filiation du film avec le cartoon et le manga s’explicite avec panache lors d’une courte séquence d’animation, qui vient se substituer à une cascade qui eût été plus onéreuse à réaliser. Ce déferlement de violence pourrait s’épuiser s’il n’avait pour fonction que de fournir un divertissement transgressif, mais First Love tient finalement moins du défouloir nihiliste que du conte moral. Au fil du récit, les masques tombent et l’intrigue foutraque se simplifie, à l’image des combats finaux délaissant les armes à feu pour des sabres, puis des mains nues. Le film de Miike retrouve même progressivement une forme de premier degré, en donnant finalement raison à des apparences initialement présentées comme trompeuses. Si l’on peut ainsi croire à un gag lorsqu’au début du film un diseur de bonne aventure annonce à Leo qu’il est en pleine santé, alors même qu’il vient d’apprendre l’existence de sa tumeur, son pronostic s’avèrera finalement juste – l’information erronée provenant de l’institution médicale. Miike se montre également très sérieux dans les critiques qu’il formule à l’encontre de la société japonaise ; une société aussi patriotique que xénophobe, où les yakuzas s’empressent de blâmer leurs rivaux chinois à la moindre déconvenue, et dans laquelle des technologies supposément libératrices permettent surtout aux citoyens de s’asservir mutuellement.
Tandis que les diables s’agitent autour d’eux, Leo et Monica parviennent à demeurer humains. En traversant ces épreuves improbables, nos deux héros réussissent même à vaincre leurs démons intérieurs. Ils en ressortiront animés d’un désir de vivre dont leur enfance les avaient jusqu’alors privés, prêts à s’aimer.