Le cinéma asiatique n’en finit décidément plus de nous étonner et, en l’occurrence, de nous pousser dans nos retranchements. Le film reprend l’idée de Trois histoires de l’au-delà, qui réunissait à l’écran les créations de réalisateurs coréen, thaï et hongkongais. Dans 3… extrêmes, ce sont cette fois trois des metteurs en scène les plus en vue de Hong Kong, de Corée du Sud et du Japon qui confrontent leur talent pour nous livrer trois films ambitieux, souvent esthétiques, mais de qualité inégale : Nouvelle cuisine de Fruit Chan, Coupez ! de Park Chan-wook, et La Boîte de Takashi Miike. Attention, personnes sensibles et trouillards de la toile, s’abstenir.
Le film s’ouvre sur Nouvelle cuisine (Dumplings), de Fruit Chan. Histoire de mettre en appétit… et il ne s’agit pas ici d’une simple expression métaphorique, au vu du scénario de ce film insidieusement violent et potentiellement traumatisant. L’histoire, c’est celle de Madame Ching Lee, une élégante bourgeoise et ancienne star de Hong Kong, flouée par un mari volage et bien décidée à retrouver la beauté de sa jeunesse. Pour cela, elle fait appel aux curieux talents culinaires de Mei, qui cuisine des raviolis à la vapeur aux vertus rajeunissantes aussi indiscutables que mystérieuses. Difficile d’en dire plus sans risquer d’éventer le cœur de l’intrigue, et par là même ce qui fait de Nouvelle cuisine un film pouvant précisément être qualifié d’«extrême ». Aussi dérangeant dans la monstration que dans la suggestion, Fruit Chan signe, en une quarantaine de minutes, un véritable tour de force de l’exercice de mise en scène. Chaque plan, chaque scène existe et intervient avec la même nécessité qu’une pierre à la construction d’un mur. À l’instar de ces plans frontaux, filmés dans la durée, de Madame Ching Lee dégustant timidement puis goulûment les raviolis. Le tout au son d’abord intrigant puis glaçant de ces craquements sourds et volontairement amplifiés. Des scènes récurrentes, presque sensuelles, voire obscènes à mesure que le scénario se dévoile, mais sublimées par la photo de Christopher Doyle. Et un scénario pour le moins gonflé, pourtant inspiré d’un fait réel, et magistralement mis en images par le réalisateur de Made in Hong Kong (1997), Hollywood Hong Kong (2001), Public Toilet (2002), qui confirme ici sa réputation de chef de file du cinéma indépendant hongkongais. Fruit Chan explore en effet avec brio et humour les thèmes de la morale, du politiquement correct, de la vanité et de la tentation, et insuffle brièvement à l’ensemble une dimension surréaliste inattendue. S’il ne fallait retenir qu’un film sur ces 3… extrêmes, ce serait assurément celui-là.
Le second s’accompagnait pourtant d’une attente non dissimulée, puisque réalisé par Park Chan-wook, le scénariste et réalisateur de Sympathy for Mr Vengeance et du virtuose Old Boy, relégué à la seconde place lors du dernier festival de Cannes derrière le Fahrenheit 9/11 de Michael Moore. Si Coupez ! témoigne une nouvelle fois de la propension de son auteur à développer des sujets ultra-dramatiques à la sauce gore, il déçoit par son manque d’imagination et son trop-plein d’effets visuels forcés. En filmant le huis-clos entre un réalisateur à succès, séquestré chez lui par un acteur de seconde zone qui lui somme de choisir entre tuer un enfant de ses propres mains et voir sa femme amputée d’un doigt supplémentaire à mesure que le temps passe, Park Chan-wook pèche par excès de zèle. Mise en scène théâtrale dans un décor digne de la salle de bal de la famille Addams, montage souvent frénétique, succession de gros plans insistants sur des visages aux expressions limite grotesques… Coupez ! ne tient pas ses promesses et s’achève sur un pseudo-retournement de situation plus toc que choc. À peine de quoi patienter avant la sortie prochaine de Sympathy for Lady Vengeance, du même Park Chan-wook.
Autre star asiatique de la mise en scène, Takashi Miike signe le troisième opus de cet éprouvant triptyque. Le prolifique réalisateur japonais (trente-sept films en dix ans!) décline quelques-unes des facettes de son imaginaire à travers cette histoire finalement assez classique sur le fond – moins sur la forme – d’une jeune femme en quête de père et traumatisée, enfant, par la mort de sa jumelle. Certains ressorts scénaristiques, certains choix narratifs et artistiques ne sont pas sans rappeler Audition, sorti en 1999, du même Takashi Miike. Un même jeu sur l’opposition des couleurs chaudes et froides, un même intérêt pour le thème de la dualité et des apparences trompeuses, l’utilisation prévisible mais néanmoins efficace du sursaut-réflexe du spectateur, mais surtout cette violence latente et sans cesse perceptible, qui éclate çà et là à la faveur des pointes de tension prévues par le scénario. Assorti d’une beauté visuelle incontestable, qui semble faire écho à celle, immaculée, de l’actrice principale (Kyoko Hasegawa), La Boîte fascine plus qu’elle ne convainc. Investie d’un rôle délicat, celui de conclure cette compilation de l’extrême, elle lui apporte certes une résonance différente, sans parvenir, pourtant, à égaler le niveau de Nouvelle cuisine.
Plus qu’une curiosité cinématographique, 3… extrêmes témoigne une nouvelle fois de l’inventivité et de l’audace du cinéma asiatique. Mais souffre des limites imposées par l’exercice, et nous laisse un peu, finalement, sur notre faim.