La création de Masters of Horror, dans la veine des séries toujours plus populaires, est un mini-événement car son concept ne s’appuie pas sur un postulat scénaristique étirable à l’infini mais, chose rare, met en avant les réalisateurs de chaque épisode, faisant de la mise en scène le seul vrai argument commercial. Elle tisse ainsi un pont entre le petit et grand écran où la forme cinématographique doit s’adapter au format télévisuel. À la manière de La Quatrième Dimension, chaque épisode nous narre une histoire sans liens entre elles, si ce n’est le genre dans lequel elles s’inscrivent (l’horreur). Proposer aux anciennes gloires du genre, comme aux (relativement) nouveaux venus de s’essayer au moyen métrage avec comme seule contrainte la durée et le budget permet d’attendre le meilleur, mais aussi parfois de craindre le pire. La série de Mick Garris légitime ces deux perspectives.
01 La Survivante, par Don Coscarelli
Le ratage de cet épisode dont le sujet ne manquait pourtant pas de piquant, tient principalement dans le traitement bêtement démonstratif de son scénario. Un peu à l’inverse du film de Landis, on tente de justifier l’utilisation du cliché cinématographique. Ici, la petite cousine de Rambo affronte le grand cousin de Leatherface, mais plutôt que d’exposer pleinement cette confrontation, le film se perd dans d’innombrables flash-backs explicatifs qui mèneront à l’inexorable et grossière chute. Filmé sans grande conviction par Don Coscarelli (dont la maturité de la réalisation dans Bubba Ho-Tep était pourtant séduisante), le film ne vaut que pour les quelques apparitions du personnage de Moonface, terrifiant mais sous-exploité.
02 Le Cauchemar de la sorcière, par Stuart Gordon
Le retour sur les écrans de Stuart Gordon, prince de l’adaptation lovecraftienne cradingue (Re-Animator ou le délirant From Beyond) et grand nom du gore des années 1980, se devait de se faire sous l’égide de l’auteur fou de Providence. « Dreams in the Witchhouse » est une nouvelle des plus classiques de l’auteur, pétrie de dimensions parallèles étranges et de cultes ancestraux cachés et assassins. Nouvellement arrivé dans une pension pauvre, un jeune étudiant de l’université de Miskatonic se voit assailli de cauchemars terrifiants dont il est persuadé qu’ils le conduiront à sacrifier le bébé de sa voisine à une sorcière centenaire. Sensation de la nouvelle, le familier de la sorcière, un « homme rat », est plus comique que terrifiant, à l’image de cet épisode qui ne convainc guère. Il ne reste à Gordon que son talent pour mettre le gore en scène, dans des scènes outrageusement sanglantes qui ne relèvent cependant pas le niveau de cette adaptation trop sage, qui souligne une fois encore la difficulté que pose l’adaptation au cinéma de H.P. Lovecraft.
03 La Danse des morts, par Tobe Hooper
La faramineuse ligne descendante qu’aura suivie Tobe Hooper depuis son chef d’œuvre absolu, Massacre à la tronçonneuse, n’a pas fini d’interpeller les cinéphiles. Loin d’être un retour fracassant, sa contribution à MOH ne manque cependant pas d’intérêt. D’abord parce que bien que truffée d’insupportables effets de montage, la réalisation tente d’imposer une vraie vision de cinéma en optant pour un cadrage instable et une lumière agressive pour restituer l’univers désenchanté et violent que dépeint le film. Ensuite parce qu’en guise de propos, le film s’efforce d’exposer un vrai malaise, et, à force d’insistance, y parvient (nous sommes en pleine nécrophilie) sans tomber dans un voyeurisme facile. Et enfin parce que Robert Englund est surprenant dans son rôle de Monsieur Loyal morbide. Les efforts de Hooper pour faire exister son film en dépit de la maladresse du scénario, à défaut de convaincre, finissent par toucher. À l’instar du sujet de cet épisode, il est peut-être artistiquement mort, mais il danse encore.
04 Jenifer, par Dario Argento
L’officier Frank, lieutenant de police, empêche in extremis l’assassinat sauvage d’une jeune femme par un forcené, qu’il est forcé d’abattre. La jeune victime s’avère être muette, et totalement défigurée. Apprenant qu’elle a été internée dans un hôpital psychiatrique sordide, Frank décide de la laisser vivre chez lui, contre l’avis de sa femme et de son fils. Dario Argento, grand maître du gallio (genre auquel un plan superbe d’arme blanche fait référence dans l’introduction de l’épisode), fait montre d’une impressionnante maîtrise cinématographique dans cet épisode, l’un des meilleurs de la série. De Jenifer, la monstrueuse jeune fille anthropophage, il fait une abomination redoutable. On ne sait d’elle si elle comprend vraiment ce qui lui est dit, et elle est incapable d’émettre autre chose qu’un vague soupir presque innocent. La seule communication qui s’établit entre la jeune fille et le policier sera donc d’ordre sexuel : elle possède en effet un corps d’une grande sensualité. Malsain au possible, Jenifer met donc en scène les affres d’un homme vaincu par le désir, et qui lie son destin à celui de cette terrifiante horreur à forme presque humaine. La mise en scène d’Argento, qui ne montrera que fort peu l’épouvantable faciès de la malheureuse, joue avec subtilité sur l’horreur latente alliée à un érotisme amoral et monstrueux. C’était un pari risqué que de pousser ainsi le malaise pour un auditoire qui ne peut s’empêcher d’être envoûté par la jeune fille, exactement comme le personnage du policier, et il faut tout le talent du réalisateur de Suspiria pour y parvenir avec autant de succès.
05 Chocolat, par Mick Garris
Jamie découvre qu’il est habité par les sensations, visions, expériences d’une autre personne, alors même que celle-ci les vit. Alors qu’il découvre que cette autre personne est une femme superbe, il décide, amoureux fou, d’aller la retrouver, alors qu’elle-même se rend « sous ses yeux » coupable du meurtre de son petit ami. Vaguement mollasson, l’épisode réalisé par Mick Garris pêche surtout par le manque consternant d’intérêt de son scénario. Pour être plus clair : il ne se passe rien. Pourquoi l’homme partage-t-il la vision de la femme ? Pourquoi en tombe t‑il amoureux ? Qu’est-ce qui le conduira à son dernier geste ? Rien n’est explicité, ni même justifié. L’épisode se regarde donc avec un ennui poli, malgré les nombreuses séquences « chaudes » sans doute destinées à maintenir l’intérêt.
06 Vote ou crève, par Joe Dante
Des soldats américains tués dans une guerre au Moyen-Orient, reviennent à la vie pour voter aux prochaines élections présidentielles. Le parti Républicain au pouvoir accueille d’abord la nouvelle avec circonspection, s’imaginant pouvoir en tirer profit, mais déchante rapidement lorsqu’il s’aperçoit que les morts votent unanimement contre lui, risquant de lui faire perdre le pouvoir. Un tel postulat, ouvertement anti-Bush, peut paraître rebutant tant il tend vers la satire grossière (genre Mars Attacks !) ou le brûlot démonstratif. Mais Joe Dante (le génial et injustement oublié réalisateur de Gremlins) est un cinéaste cinéphile : il sait que la force de son discours politique ne peut passer dans son film que par l’émotion, plutôt que dans la grosse machine explicative (genre Syriana). Il sait également qu’un film comme Le Dictateur fonctionne parce qu’en contrechamp du (brillant) portrait du monstre, il y a le portrait de ses victimes. Ainsi dans Homecoming il y a une scène absolument magnifique, où un zombie errant traîne hagard et perdu sous la pluie, lorsqu’il est recueilli par un couple qui l’invite à se réchauffer dans leur restaurant. Ces derniers expliquent au « non-être » que leur fils est lui aussi parti à la guerre, et qu’ils vivent chaque jour dans la crainte de ne plus jamais le revoir vivant. Le zombie lève alors des yeux désespérés (et bouleversant) vers le couple, les regardant comme les parents à qui il a été ôté, tandis qu’ils l’observent comme le fils qu’ils pourraient ne plus avoir. Le film prend tout son sens dans ce simple échange : le zombie n’est pas le monstre effrayant, mais la conséquence de l’horreur de la guerre et du cynisme politique. On a critiqué Homecoming en disant qu’il ne faisait pas peur. Il fait bien plus : il terrifie par ses constatations et laisse un révoltant sentiment d’injustice. Cette pertinence du propos dans la justesse de la mise en scène, il est désolant aujourd’hui de la retrouver à la télévision câblée plutôt qu’au cinéma.
07 La Belle et la Bête, par John Landis
S’il y a un réalisateur dont on n’attendait (plus) rien, et particulièrement au sein des « maîtres » de l’horreur, c’est bien John Landis dont la filmographie parsemée de quelques films sympathiques est tombée en désuétude depuis les années 1990. La disgrâce fut sans appel lorsqu’il commit l’abjection de fournir une suite molle à son plus grand film, Les Blues Brothers (1980), à l’intérêt purement mercantile. Il lave pourtant ici l’affront en réalisant un des meilleurs épisodes de la série avec Deer Woman. Il part du constat simple que sa place parmi les autres réalisateurs de la série est usurpée, qu’il y a un malentendu car les deux films qui lui valent d’être là (Le Loup-Garou de Londres et le clip de Thriller de Michael Jackson) n’étaient pas à proprement parler des films d’horreur, mais des hommages cinéphiliques à ce genre dont il est plus volontiers un spectateur qu’un faiseur. Et c’est dans cette continuité qu’il inscrit Deer Woman, citant ouvertement son film de loup-garou, et posant un regard amusé sur une succession de clichés cinématographiques qui se confrontent à la réalité du héros (le très attachant Brian Benben). C’est dans ce respect pour un cinéma déjà fait, et qu’il ne veut en aucun cas éreinter, qu’il trouve une certaine grâce : le cliché n’est pas détourné mais pris au mot, on ne cherche pas à l’expliquer, on croit en lui, car on l’a vu auparavant au cinéma.
08 La Fin absolue du monde, par John Carpenter
Kirby Sweetman, érudit spécialiste dans les enquêtes concernant les objets perdus du monde cinéma, est contacté par un riche mécène pour retrouver la seule copie survivante du film « La Fin absolue du monde ». Le problème est que, après sa seule projection au festival de Sitges, les spectateurs se sont livrés à des actes de violence terrifiants, et que la pellicule est réputée avoir disparu dans l’incendie qui s’en est suivi. Remonter la trace du film maudit permettra à Sweetman d’affronter ses propres démons, et notamment sa femme récemment disparue. John Carpenter, comme on pouvait s’y attendre, frappe très fort avec un scénario mille fois plus lovecraftien que celui de Stuart Gordon, et lui applique un traitement proche de son chef-d’œuvre L’Antre de la folie. Inquiétant, labyrinthique, fascinant et gore, La Fin absolue du monde permet de retrouver en grande forme le réalisateur. Le titre original de l’épisode, Cigarette Burns, fait référence aux ronds de lumière destinés à marquer le passage entre les bobines de film lors d’une projection. Son héros est hanté par ces marques, qui hantent sa vision, lui offrant des éclairs de compréhension du monde terrible dont le film qu’il recherche a ouvert les portes, et Carpenter réalise, grâce à ce symbole, un film d’horreur sur le cinéma d’horreur avec une malice et une pertinence rare. Si le traitement du personnage vis-à-vis de celui de sa femme morte pèche un peu et suscite les seules réserves, Carpenter réussit le tour de force de faire naître la curiosité et l’horreur quant au film tant recherché, et à parvenir à le révéler de façon crédible et terrifiante à l’écran. La Fin… reste donc une réussite mineure, mais réelle, pour un Carpenter qui semblait n’avoir plus guère la foi dans le fantastique.
09 La Cave, par William Malone
Un couple enlève et assassine des adolescents afin de compléter un rituel, lancé après la mort accidentelle de leur fils pour le faire revivre. Nanti d’un scénario convenu, d’un montage alourdi par d’incessants flash-backs, et de maquillages presque amateurs, La Cave vaut surtout pour la performance de Lori Petty, qui fut en un temps une redoutable Tank Girl, en mère sataniste folle à lier, et pour une conclusion gentiment narquoise. En dehors de cela, rien n’est à retirer de ce produit de consommation courante.
10 Liaison bestiale, par Lucky McKee
Ida, laborantine en entomologie, désespère de se trouver une compagne, toutes celles qui se présentent étant terrifiées par son appartement rempli d’insectes. Pour son plus grand bonheur, l’arrivée dans sa vie de Misty, qui les supporte parfaitement, coïncide avec l’envoi par un mystérieux anonyme d’un insecte géant et très agressif. La présentation de Liaison bestiale annonce le film comme un croisement entre La Mouche et la comédie romantique. Avec énormément de talent et une approche du sujet à la Shaun of the Dead, cet épisode eût pu être intéressant. Hélas, il est possible qu’il soit le pire de la série. Non seulement il accumule les poncifs racoleurs sur les lesbiennes, mais en plus les actrices sont abominablement mauvaises, avec une mention toute particulière pour Angela Bettis dans le rôle d’Ida, dont la seule voix suscite une impérieuse envie d’éteindre immédiatement son lecteur DVD. Enfin, les effets spéciaux visuels et le scénario sont d’une ringardise consommée, à peine digne des années 1980. Racoleur, énervant, idiot, Sick Girl fera même fuir les férus de série Z par sa médiocrité.
11 Serial auto-stoppeur, par Larry Cohen
Pick Me Up est l’une des quelques authentiques bonnes surprises de la série. S’il était un des épisodes que l’on attendait le moins (tout simplement parce que Larry Cohen n’a pas fait grand-chose d’intéressant depuis une quinzaine d’années), il est certainement l’un des plus réjouissants. Le script s’amuse à opposer deux figures classiques des serial killers : l’auto-stoppeur et le chauffeur de camion, tout deux en chasse d’une même proie. Sans outrepasser ce postulat de départ, Cohen signe un film efficace, qui trouve sa dynamique dans la confrontation des deux clichés cinématographiques avec un équilibre adéquat entre suspense et scènes dérangeantes. Une structure symétrique qui permet au film de suivre une médiane sans débordement (ni trop ni pas assez). On regrette quand même la lourde chute.
12 Les Amants d’outre-tombe, par John McNaughton
L’opus réalisé par John McNaughton tombe dans les pièges les plus évidents qu’un exercice comme MOH pouvait offrir : course à la dégueulasserie et chute lourdingue. Ici, cinquante minutes sans vrai investissement filmique pour aboutir sur une scène où une nymphomane est prise en gang-bang par une horde de zombies dans un cimetière. Pas de réelle idée visuelle, pas de propos cinématographique mais une forme de porno horrifique mal assumé. Il y aura peut-être des amateurs…
13 La Maison des sévices, par Takashi Miike
Fidèle à lui-même, Miike, le sulfureux cinéaste japonais, continue d’explorer les limites de la provocation visuelle avec au programme : tortures raffinées filmées en gros plan, ramassage de cervelle, tabassage de femme, inceste etc… Mais devant tout cet étalage d’immondice, on devine bien que ce n’est pas tant sa violence graphique qui a fait de cet épisode le seul de la série à être interdit de diffusion aux États-Unis, que son sujet qui tourne autour de l’avortement. Une scène assez explicite nous dévoile le processus en question, comme il se pratiquait de manière clandestine dans le Japon de la fin du XIXe siècle, résumable en deux étapes : fist fucking et extraction d’un coup sec (Poc!), ce qui a dû réjouir les censeurs américains. Mais au-delà de l’aspect un peu racoleur du film, on trouve une manière de filmer très distante, assez épurée et posée, qui contraste grandement avec le contenu du cadre. Il y a même quelques idées poétiques touchantes, comme ces petits moulins que plante l’avorteuse pour chaque fœtus qu’elle a jeté dans la rivière. Ce qui est vraiment exécrable, finalement, chez Miike, c’est qu’il gaspille son talent.
Offrir aux ténors du grand écran la possibilité de s’exprimer dans la petite lucarne, sans les contraintes d’un film traditionnel, c’est avant tout leur permettre de s’exprimer sur des sujets qu’ils auraient sans doute négligé dans le cadre du cinéma, avec finalement pour seul enjeu celui de ternir ou de dorer un peu plus leur nom dans le cœur des fantasticophiles. Tous ne pouvaient être extraordinaires dans cette première saison, mais il est indéniable que les réussites (Vote ou crève et Jenifer en tête) dépassent par leur intérêt global les ratages, plus anecdotiques. On regrette seulement que certains maîtres tels Carpenter ou Gordon n’en aient pas profité pour faire un retour en fanfare. Mais, patience : ceux-ci, Dario Argento, Joe Dante, Mick Garris, et John Landis rempilent pour la seconde saison !