C’est peut-être dans la dernière scène de First Man que s’exprime le plus nettement ce qu’aurait pu constituer son sujet. Tout juste rentré de la mission Apollo 11, Neil Armstrong se trouve encore en quarantaine et ne peut donc goûter à sa popularité nouvelle. Sa femme entre dans une pièce coupée en deux par une vitre et s’approche silencieusement de son époux, qui lui fait dos derrière la barrière transparente. Les retrouvailles sont pour le moins ternes : pas un mot, pas même un sourire, juste les regards las d’un homme et d’une femme partageant la même douleur – la perte d’une petite fille, morte dans les premières minutes du film. Le parti-pris anti-spectaculaire pourrait paraître de prime abord comme le garant d’un anti-académisme : Chazelle filme peu la fameuse salle des opérations de Houston tandis que le retentissement planétaire de l’événement tient en quelques plans, et pas une seule fois n’apparaît à l’écran la traditionnelle représentation de l’alunissage montrant l’Amérique tout entière rivée à son poste de télévision. À la place de ce programme attendu, que veut filmer Chazelle, ou plutôt, d’où veut-il filmer ? De derrière le hublot, soit du point de vue de Neil Armstrong, contre lequel se colle une caméra tremblotante qui tranche avec la mise en scène performative des deux précédents films du cinéaste, Whiplash et La La Land. Dans l’ouverture, seule la lumière sur le visage d’Armstrong et le bout d’un hublot traduisent le passage de l’atmosphère à l’espace, dans une démarche qui rabat le spectaculaire sur de la pure sensation.
Le choix de se concentrer uniquement sur la perception du héros pourrait être un pari osé si son portrait n’était pas dilué dans une ribambelle de scènes intimes qui manifestement n’intéressent pas le metteur en scène. La vie familiale est réduite à une suite d’instantanés peuplés de rires et de pleurs, de regards déçus et de sourires enchantés, tandis qu’Armstrong se mure dans le silence au fur et à mesure que la mission se rapproche. L’autre limite inhérente de ce parti pris est qu’il n’est pas tenable sur le long terme, ou du moins que Chazelle ne parvient pas à le tenir : sans dévier de cette caméra naïvement rivée sur le visage d’Armstrong pour sonder sans succès son intériorité, le film finit, petit à petit, par adjoindre dans son montage des plans de l’espace, de la fusée au décollage, bref, les plans attendus sur pareil sujet. Le fait est que First Man manque d’un véritable regard sur son héros et son accomplissement, et que les différents choix qu’il opère, en cherchant à se démarquer du tout-venant, finissent par faire basculer le projet dans une autre forme d’académisme. Non seulement pas un plan ne témoigne de la marque d’un auteur, mais le film semble par ailleurs le fruit d’un curieux mélange entre le gigantisme hollywoodien et l’intimisme arty caractéristique du cinéma indépendant américain contemporain. Dommage que First Man n’aille nulle part et surjoue artificiellement la rétention, car cette dernière scène laisse rêver à un autre film, bien plus beau, sur l’envers gris et sans joie d’un rêve national.