Dans Godzilla II, le sort de la planète ne repose jamais sur les épaules de l’humanité, réduite à contempler le combat entre le Bien et le Mal incarnés en Godzilla et Ghidora, deux créatures titanesques qui s’affrontent depuis que le monde est monde. Pour servir d’arène géante, la planète est ici vidée de ses occupants, les millions de morts libérant de la place au détour de quelques images muettes diffusées sur des écrans de télévision en arrière-plan. Les décors numériques ne s’apparentent plus à des villes ou des montagnes, juste à de ridicules obstacles destinés à être balayés par les « plus anciens des dieux », dont l’un tire son pouvoir de l’eau et l’autre de la foudre. Les éléments se déchaînent de toutes les manières possibles (tempêtes, explosions, tsunamis, éruption volcanique, etc.), à tel point que les possibilités en la matière se retrouvent épuisées avant même la moitié du film. Pour compenser cette perte de vitesse, il ne reste alors plus d’autre choix que la course à la démesure. Apparaissent ainsi plus de monstres : un maîtrisant le feu, un autre la lumière et ainsi de suite. Trop nombreux, ces derniers doivent rapidement se contenter de rapides apparitions avant d’être, eux aussi, miniaturisés dans les mêmes écrans de télévision (un comble, étant donné l’immensité revendiquée de l’action). Face à ce déchaînement sans fin, les personnages humains sont sommés de rester passifs, si l’on excepte quelques sauvetages ici ou là. Comme eux, nous n’avons pas d’autre choix que d’être pris de béatitude ou d’effroi selon la situation.
La proposition pourrait s’avérer recevable si le film n’échouait pas dans son entreprise : les créatures sont immenses au point d’être inatteignables, systématiquement masquées par l’obscurité, la pluie, la brume ou la neige, autant d’aveux d’une incapacité à figurer dans leur entièreté ces indescriptibles corps. Les propositions de points de vue sur les monstres empruntent abondamment à Jurassic Park (l’oeil du monstre aperçu à travers la vitre d’un véhicule, pour ne citer que cet exemple), mais c’est du côté des Jurassic World que l’on trouve le plus d’analogies, notamment dans les expressions anthropomorphes des créatures, qui évoquent celles de personnages de cartoons, l’humour en moins. Le ton du film se voudrait sombre, mais il se révèle plutôt alourdi par le recyclage d’enjeux déjà lessivés par le précédent film, tels l’acceptation des lois de la nature ou la mortalité des hommes. Or c’est paradoxalement la pesanteur qui manque le plus à ces ombres quasi fantomatiques se dressant au-dessus d’humains microscopiques et insignifiants. Faute de mieux, le grand finale voit Godzilla évoluer vers de nouvelles promesses d’attaques phénoménales. À ce stade, plus rien ne prend corps depuis déjà longtemps, la faute à des choix d’échelles qui ne permettent plus de saisir ce qui se joue à l’écran. Peut-être plus encore que dans le Batman v Superman de Zack Snyder, le fantasme mythologique du blockbuster Hollywoodien montre ici toutes ses limites, alors que le fracas des colères divines se retrouve réduit à une gesticulation de Pokémon géants.