Pour ses soixante ans, Godzilla s’offre un retour sur grand écran, savamment orchestré sur internet depuis plusieurs mois. Pilotée par le jeune Gareth Edwards (Monsters), cette nouvelle version du monstre nippon (la trentième à ce jour) voudrait faire oublier le naufrage du Godzilla de Roland Emmerich, film catastrophe qui avait escamoté le sous-texte politique pour ne conserver de la créature que son appétence à la destruction. Fort d’une admiration sans borne pour les kaiju eiga (films de monstres japonais), le réalisateur britannique souhaite renouer avec les fondamentaux de la mythique bestiole. Vœux pieux condamnés à crouler sous les desiderata mercantiles des producteurs hollywoodiens ou relecture réussie et personnelle du King of the Monsters ? Le verdict est sans appel.
Made in Japan
Film mondialisé, Godzilla promène le public d’une grotte aux Philippines à une centrale nucléaire au Japon en passant par San Francisco et Las Vegas. Si le parcours géographique du monstre se révèle parfaitement limpide, les enjeux scénaristiques tardent à se découvrir. Durant une demi-heure, des éléments disparates en apparence se succèdent, composant un puzzle qui laisse songeur. Après la découverte d’un fossile gigantesque, on assiste impuissant à une catastrophe atomique dantesque. Joe Brody (Bryan Cranston), ingénieur américain travaillant dans le nucléaire au Japon, craint un grave séisme suite à l’enregistrement d’étranges ondes venant de la mer. Alors qu’il envoie sa femme (et collègue interprétée par Juliette Binoche) au cœur du réacteur pour vérifier si aucun dommage n’est à déplorer, une formidable explosion survient, réduisant à néant la centrale et la vie familiale de Joe. Quinze ans plus tard, le fils de Joe, le soldat Ford revient du front pour passer quelques semaines avec sa femme et son jeune garçon à San Francisco. Mais son répit est de courte durée. La police nippone vient d’arrêter son père dans la zone contaminée, obligeant Ford à se rendre sur place pour gérer Joe, considéré comme un incurable paranoïaque. Mais la vérité ne tarde pas à faire surface : l’ancienne centrale est devenue le lieu de confinement d’une effroyable créature. Problème : le monstre tant attendu n’est pas Godzilla.
Let them fight
À l’image des super sentaï (séries télévisuelles nippones où une équipe de héros s’écharpent avec un monstre géant à la fin de chaque épisode), le film d’Edwards renoue avec la tradition du combat épique entre diverses créatures géantes. Godzilla n’y joue pas le rôle de destructeur surpuissant. Au contraire, symbole de la force de la nature, il en est le défenseur, sorte de redresseur de torts. Cette relecture (déjà présente dans des versions antérieures) a de quoi surprendre, car elle prend le contre-pied des récentes réalisations de films de monstres (Cloverfield, Pacific Rim). Mais, au-delà de ces considérations scénaristiques (le premier atout du métrage), ce qui étonne réside dans la maîtrise absolue de la mise en scène de Gareth Edwards. Réalisateur d’un seul film à ce jour, il parvient à alterner des séquences d’affrontements immersives, brutales, primitives avec des purs moments de poésie comme lors du parachutage des militaires. Alors qu’ils sont lestés d’une fusée de détresse, leur chute libre dessine des veines sanglantes dans le ciel avant de disparaître dans le brouillard opaque qui recouvre la ville et les monstres. Comme Spielberg en son temps, Edwards ne dévoile que tardivement et brièvement le corps de son personnage (silhouette d’ailleurs plus proche du bipède initial que celle rampante choisie par Emmerich). Sa crête dorsale hérissée (comme l’aileron des Dents de la mer) découpe les flots pour mieux laisser les spectateurs imaginer le reste. Lorsque Godzilla se déplace sur terre, visible donc, il n’en est pas moins surdécoupé, un pied ici, un œil là. Au public de reconstituer le portrait diffracté du kaiju. Évacuant le caractère héroïque de Ford, sauveur attendu mais finalement inefficace, le metteur en scène concentre son énergie à filmer au ras du sol la progression de ses monstres antédiluviens, à hauteur d’homme en somme. Tout en renouvelant la franchise (et en lui restant fidèle à la fois), Edwards distille les peurs modernes (accidents nucléaires), injecte à son film des visions contemporaines de l’horreur (tsunami, nuage de poussière rappelant le 11-Septembre), rend hommage au cinéma de genre et propose une fin singulière d’une intelligence rarissime à Hollywood. Le verdict est effectivement sans appel : Godzilla est une brillante réussite.