Man v God
Snyder est peut-être un des réalisateurs contemporains au style le plus marqué. Des ralentis empesés de 300 à l’étourdissement nauséeux de Man of Steel, il a appris à maîtriser l’image de synthèse et à l’utiliser plus que personne. Mais derrière le spectacle d’une ville s’effondrant aussi facilement qu’un château de cartes dans Man of Steel, apothéose de sa technique, on sentait bien aussi toute la vanité, voire le nihilisme d’une image désormais asservie à une seule destruction toujours croissante, aboutissement du mot d’ordre des films de super-héros : The more the better. On se demandait ce que le petit roi du fond vert nous réservait après un tel spectacle. C’est avec surprise qu’on le découvre comme absent de Batman v Superman.
Pour justifier une opposition a priori vaseuse entre deux héros luttant dans le même camp du bien — et qui finira par retomber comme un soufflé dans une scène inconcevable de rabibochage autour d’une figure maternelle partagée —, le film s’aventure sur le terrain miné d’un man vs god, l’homme contre le dieu. Après les destructions massives de Man of Steel, les hommes prennent la mesure du pouvoir de Superman et s’en effraient. Batman se fait ainsi porte-étendard d’une humanité luttant contre une toute-puissance à double tranchant. Très consciencieusement, le film va alors se prendre les pieds dans toutes les considérations politiques, éthiques, voire philosophiques les plus vides, croyant briller en suivant très didactiquement l’ennuyeux chemin qui le mènera de : « le pouvoir s’accompagne toujours du mal » à : « personne n’arrête le bien en ce monde ».
Nolan v Snyder
Cet esprit de sérieux, ce poids de la morale louchent évidemment sur ceux de The Dark Knight, le film de Christopher Nolan étant par ailleurs sans cesse mimé dans ce qui en restera une très pâle copie. Le personnage de Lex Luthor, par exemple, rejoue la folie du Joker de Heath Ledger : idée catastrophique pour Jesse Eisenberg qui avance en roue libre (la direction d’acteur est globalement inexistante, seule Amy Adams parvient à s’en sortir à peu près). Les scènes d’actions, elles, sont beaucoup moins marquées par les images de synthèse, à l’inverse des habitudes de Snyder. Hormis le dernier combat, le réalisateur gomme ses effets et tend plus directement vers un réalisme qui ne lui ressemble pas, et qu’il maîtrise très mal. Ce qui impressionnait chez Nolan révèle ici les lacunes de mise en scène de Snyder, sûrement plus habitué à déplacer sa caméra sans entraves sur un ordinateur qu’à faire un découpage. On a rarement ressenti, à ce niveau de production, un ennui aussi profond devant des scènes de poursuite ou de combat. Aucun rythme, aucune vitesse ; tous les mouvements sont empesés et dénués de toute chorégraphie (il faut voir la pauvreté du combat entre les deux héros, supposé être un des clous du film).
Réalisme v synthèse
Il faut attendre le climax du film pour retrouver avec plus d’évidence l’arme favorite de Snyder, le fond vert de la reconstitution numérique (CGI). On peut ainsi lire une sorte d’histoire des effets spéciaux au sein même du film, où cascadeurs et artificiers seraient peu à peu remplacés par des logiciels qui permettraient une image plus spectaculaire. Mais même revenu à son élément, le réalisateur cale. Le dernier combat de Superman contre un monstre grossièrement sorti du Seigneur des anneaux reste en deçà de tout ce qui peut se faire aujourd’hui, chez Marvel notamment, et surtout de tout ce qu’a pu faire Snyder lui-même jusque là. Comme si le souci de réalisme (en tout cas d’éviter une CGI clinquante) auquel il s’était confronté dans le film plus qu’à l’accoutumée l’avait tiré vers le bas, freiné dans ses ardeurs de technicien omnipotent. Il lui était en un sens impossible de retrouver les effets spéciaux de Man of Steel sans rendre ridicule son personnage de Batman, sans en faire un point absent, petit gringalet devant des géants. Et pourtant c’était l’enjeu du film. Pris en étau entre deux super-héros aux forces inégales, Snyder capitule. Il en résulte à la fois un entre-deux tiède et un mélange des genres hideux. Peut-être Batman n’était-il pas un personnage pour lui. La chauve-souris et le dieu en slip rouge appartiennent en tout cas dans son esprit à deux techniques bien distinctes, qu’il ne parvient pas à marier.
Plus largement, Batman v Superman est peut-être le signe d’une inquiétude qui gagne Hollywood quant à l’avenir. Si la rencontre des deux super-héros montre bien la volonté d’aller toujours plus loin dans le spectaculaire, le recul devant l’image de synthèse est symptomatique. The Avengers (2012) et Man of Steel (2013) ont atteint une limite en détruisant au même moment une ville entière. Que faire après ça ? Il est évident que l’utilisation de l’image de synthèse pour une destruction toujours plus importante montre ses limites à mesure que les étincelles du spectacle s’évanouissent. Hollywood semble coincé entre l’absence d’un autre horizon pour l’image de synthèse et le sentiment de revenir en arrière avec une mise en scène qui l’emploierait moins.