À son tour, donc, la franchise Hunger Games a sacrifié à la dernière mode lucrative des adaptations de feuilletons romanesques cultes, consistant à décliner le dernier tome en deux films. Comme si un opus de conclusion devait forcément être dilaté, rendu monumental. Mais pourquoi pas, tant que les enjeux en valent la peine ? Voyons voir… Exit la métaphore des jeux du cirque en décors pseudo-naturels, l’héroïne y ayant mis un terme brutal dans l’épisode précédent ; hors champ, les fastes du Capitole où le paraître y règne jusqu’au grotesque. Place au béton des champs de ruine et de la cité-bunker, visage bien plus authentique des « bienfaits » du régime en place dans cette Amérique dystopique, et à la sédition qui, c’est à présent officiel, gronde un peu partout. Or si les jeux sont finis, le cirque continue, sur les écrans ; et l’un des arguments majeurs de cet épisode est que ce cirque médiatique, auparavant réservé au pouvoir, devient un duel, le camp rebelle décidant de jouer le même jeu. C’est ainsi que, sous le chapeautage d’un staff de communication, Katniss Everdeen, star des jeux devenue star de la rébellion, se voit montée en égérie dans des clips de propagande exhortant au soulèvement. On les tourne d’abord tout en artifices en vase clos et pas franchement vibrants puis, parce qu’elle le vaut bien, l’amazone a droit à son propre texte qu’elle improvise dans le vrai cadre des sévices de la dictature (on verrait bien là un renvoi au statut de son interprète Jennifer Lawrence, avec son image de star hollywoodienne « nature » et accessible).
Double jeu
Ainsi le feuilleton poursuit-il sa métaphore filée des dérives totalitaires du spectacle de masse et de la manipulation de l’image publique. Et de traîner cependant, avec elle, les problèmes sans doute insolubles qui l’accompagnent depuis les origines, le principal étant que, si présente et ostensible que puisse être cette métaphore, elle ne nous touche pas plus pour autant. « Insolubles », parce qu’il s’agit du classique obstacle que rencontre un film hollywoodien quand il fait mine de critiquer ce qui constitue son fondement. Les cinéastes qui jadis avaient le cran et la marge de manœuvre pour oser une telle franchise de regard s’en sont allés – on appelait ce temps-là « l’Âge d’or de Hollywood ». Aujourd’hui, un blockbuster ne saurait s’aventurer sur ce terrain (et sur tous les autres) qu’en restant rivé à son cahier des charges qui verrouille de facto toute opportunité de remise en question, condamnant le film au double langage. Ainsi, dans ce Mockingjay, tout discours sur des images émanant de la sincérité (celle de Katniss au contact de l’horreur du régime) est-il empesé dès sa formulation par l’évidence, impossible à cacher, qu’il se constitue lui-même d’images récupérées, calculées, utilisées et dénaturées. Quand Katniss rend visite à un hôpital de fortune abritant des victimes de la répression, elle a beau faire, cela a à l’écran le même impact qu’une star du show-business faisant montre de sa générosité dans un village du Tiers Monde : on ne peut que faire semblant d’y croire. L’indignation, la révolte et leur récupération dans la propagande ne restent hélas que des formalités scénaristiques désincarnées.
Coming soon
L’inconsistance du discours politique pourrait être négligée si au moins le film était capable de donner le change par ailleurs. Or, même sur le plan du spectacle, les maîtres d’ouvrage semblent avoir concédé le minimum syndical dans l’attente du finale. Entre une neutralité tristement fonctionnelle de chaque image, des comédiens qui se dépêtrent inégalement du hiératisme de leurs personnages, une réticence à saisir les opportunités ludiques offertes (comme les flèches à couleurs et propriétés différentes conçues pour Katniss, touche james-bondienne chichement exploitée), Mockingjay – Part 1 ne se mouille jamais pour sortir du lot et se satisfait de peu. Il faut sans doute voir là un syndrome de la division du dernier tome en deux films, qui revient en vérité à retarder la conclusion. La dilatation suivie de scission semble avoir été bien paresseuse, vu l’impression de délayage que laisse cet « épisode 3a », traînant entre son récit socio-politique superficiel, sa romance impossible qui prend de plus en plus des allures d’accessoire de scénario (entre Katniss et son ex-concurrent Peeta instrumentalisé par le régime pour l’atteindre, elle) et une action qui reprend ses droits sans brio, parce qu’il le faut bien. De fait, la seule image sortant du lot, réellement habitée et prenante, est le tout dernier plan, pic d’effroi et de tragédie ouvrant impeccablement la voie à la suite et fin. On aura attendu un tel pic pendant deux heures. C’est long, et surtout c’est un peu tard pour laisser espérer d’être vraiment transporté par la conclusion programmée.