Paradoxale saga que celle des Hunger Games : si les films sont tous décevants (et de plus en plus au fil du temps), il est difficile de s’en désintéresser totalement. Même l’attente de cet ultime épisode n’a pas été complètement étouffée par la division opportuniste et désormais courante du dernier livre de la trilogie en deux parties. Ce capital sympathie se nourrit certainement d’un concours de circonstances : à ses thématiques noires et contemporaines emballées dans une esthétique digne d’une œuvre d’anticipation du siècle dernier, s’ajoute le magnétisme du personnage Katniss Everdeen incarné par Jennifer Lawrence. Pourtant, encore une fois, le résultat n’est pas à la hauteur d’une franchise qui aurait mérité bien mieux. Mais face à la contradiction entre son sujet et les conditions de sa production, pouvait-il en être autrement ?
Guerre des images
Nous retrouvons Katniss littéralement sans voix, suite à ses retrouvailles avec Peeta, son ancien partenaire des Hunger Games torturé et conditionné par le Capitole pour l’assassiner. Dans ses derniers instants, La Révolte – Partie 1 nous dispensait d’une promesse accrocheuse : celle de la confrontation entre deux victimes d’une oppression commune, désormais de part et d’autre de la guerre. S’il s’agit bien du thème majeur de ce grand final (la similitude croissante des deux camps tant au niveau de la fin que des moyens), il faudra cependant se passer d’un face-à-face digne de ce nom entre les deux personnages. La raison est à chercher dans un problème importé des précédents opus : le scénario se borne toujours à une restitution appliquée de la quasi-totalité des péripéties de l’ouvrage. Ni une ni deux, Katniss repart donc dans la foulée sur le front. Le président Snow, acculé, décide de laisser entrer les rebelles dans un Capitole truffé de pièges pour l’occasion, offrant ainsi une ultime édition des Hunger Games.
Au combat de spots télévisés de propagande succède donc un affrontement d’un nouveau genre. Au début du film, dans une de ses rares scènes véritablement inspirées, Snow annonce à ses proches qu’il sait la guerre perdue. L’enjeu n’est plus militaire, il est désormais uniquement médiatique : s’il tombe, son régime se doit d’offrir un grand spectacle à la hauteur de l’événement. Troublante analogie avec le cinéma américain, qui a appris depuis les années 70 à se nourrir de ses défaites majeures pour les offrir en spectacle au grand public et ainsi stimuler un sentiment patriotique, avec, parmi les plus récents, des titres comme La Chute du Faucon noir, World Trade Center, ou encore Démineurs. Et la ressemblance avec des situations connues ne s’arrête pas là, le président Snow empruntant le plus souvent des raisonnements entendus dans la bouche de nombreux dirigeants sur la sellette : « c’est une attaque non contre moi mais contre notre mode de vie, je suis le rempart contre le chaos, etc… » Les lignes se brouillent de plus en plus pour notre héroïne, jusqu’à ce qu’elle décide de contourner les ordres de ses supérieurs pour s’engager dans une mission visant à mettre définitivement fin à la guerre : l’assassinat de Snow.
Talking ‘bout a revolution
Nous abandonnons à partir de ce moment un regard global sur le conflit pour suivre la quête linéaire de Katniss et de son petit groupe. Alors que nous restons collés au plus près de nos jeunes héros de la même manière qu’ils étaient enfermés dans l’arène, il est regrettable que nous ne soyons pas en mesure de constater les différences entre leurs actions réelles et le spectacle qui en est tiré. Ce problème de point de vue était identifiable dès le premier film : les romans étant écrits à la première personne, une mise en perspective s’opérait par les questionnements du personnage à propos des causes (médiatique, politique) auxquelles elle prêtait son visage. Ce regard intime, mettant en relief l’exercice de représentation auquel Katniss se livre de plus en plus consciemment au fil de l’intrigue, n’existe plus dans le film. Or il n’est pas remplacé par un autre choix de point de vue visant à offrir un éclairage nouveau. On peut certes relever qu’il n’y avait pas beaucoup d’espoir à nourrir à ce sujet : Francis Lawrence s’était déjà « illustré » par un des plus grands contre-sens de l’histoire des adaptations de romans, en transformant la fin subversive de Je suis une légende en une légitimation sans réserve des États-Unis comme bienfaiteurs de l’humanité. Que ce positionnement ait été à l’époque une volonté du réalisateur ou non (il existait bien une fin alternative plus fidèle à l’esprit du roman), Francis Lawrence ne semble pas en mesure de s’extraire du rôle de bon faiseur docile. Estimons-nous donc heureux qu’il demeure un peu de l’âme des ouvrages originaux, même si leur propos s’en retrouve adouci (la scène dans laquelle Katniss abat de sang froid une civile ayant par exemple été tout bonnement supprimée).
Mais à tout ceci s’ajoute un autre constat peu flatteur. Ce manque de prise de risque général ne pèse pas que sur le propos du film. L’action semble constamment à la peine, particulièrement lors des scènes en extérieur. Plutôt que de proposer un découpage visant à contourner les difficultés de la restitution d’une ville en état de guerre, le réalisateur fonce le nez dans le guidon. Si l’on pouvait jusqu’ici penser que les errances de la direction artistique étaient liées à l’environnement factice de l’arène et au look d’une aristocratie pétrie de mauvais goût télévisuel, le débat n’est plus possible désormais : Hunger Games n’a clairement pas bénéficié des moyens de ses ambitions. Aucune prise de décision inspirée concernant la mise en scène ne vient ainsi contre-balancer cette impression de décor statique, complétée par de tristes tentatives d’incrustations sur fond vert. Dans cet environnement factice, les acteurs semblent errer sans grande conviction, assurant un service minimum insuffisant pour partager une quelconque émotion, à l’exception notable de Donald Sutherland, visiblement inspiré par l’évolution à la fois pathétique et glaçante de son personnage. Notons à ce propos que c’est grâce à lui que le dénouement, pourtant aussi peu inspiré que le reste, se révèle à la hauteur des enjeux de la saga. Un unique plan parvient à entrer à lui seul en résonance avec les terribles dénouements des révolutions bien réelles de ces dernières années : celui de l’éclat de rire sanguinolent du dictateur devant le spectacle chaotique qui accompagne sa fin. Cette simple fulgurance ne suffit certes pas à rattraper les faiblesses d’un produit commercial standardisé à la finition discutable. Mais on ne pourra pas enlever aux aventures de Katniss Everdeen d’avoir arboré la teinte de la grande désillusion politique qui a caractérisé l’époque de leur production.