Matsuo Bashô n’est pas un inconnu pour les amateurs du cinéma d’animation. C’est lui qui avait fortement inspiré Isao Takahata pour sa mise en images du superbe Mes voisins les Yamada. Faire du poète de l’ère Edo le scénariste d’un film complet relevait cependant d’une toute autre ambition : un pari risqué relevé globalement avec brio par les artistes réunis autour de Kihachirô Kawamoto.
Le haïku, genre poétique propre à la culture japonaise, vise à célébrer l’instant dans un triptyque de vers poétiques propres à capturer l’essence fugace du temps. Le renku, genre dérivé du haïku, est un assemblage de tels poèmes courts rédigés par différents poètes, à la suite les uns des autres, chacun reprenant pour commencer son haïku le vers terminant le haïku précédent. Jours d’hiver est un tel poème, qui réunît autour du poète Bashô une congrégation de littérateurs. Kihachirô Kawamoto, vétéran de l’animation, a pris le parti de confier à des artistes de l’animation la réalisation d’un court métrage illustrant chacun un haïku, donnant à son film une structure parallèle similaire à celle du poème.
Lorsqu’on considère le but premier du haïku tel que codifié par Bashô − qui est le premier et l’un des plus grands praticiens du genre − on ne peut qu’être frappé par la similarité entre le but ultime du haïku et le cinéma, puisque le haïku vise à dessiner une image fugace, mais profondément évocatrice. Ainsi, l’un des plus célèbres poèmes de l’auteur se traduit comme suit :
Sur une branche morte
Les corbeaux sont perchés
Soir d’automne
Comment le cinéma pouvait-il reprendre la subtilité de l’imagerie attachée au haïku ? Takahata, dans Mes voisins les Yamada, choisissait de parsemer la narration de la vie quotidienne de la famille en question de peintures immobiles, illustrant les poèmes, utilisant fondamentalement le même type de narration « fixe ». Mais Kawamoto s’est proposé d’associer le cinéma dans son mouvement au genre essentiellement inerte du haïku : il s’agit de demander au cinéma de redonner le mouvement à l’image évoquée, mais en gardant son côté métonymique de cette image. Suprême gageure, car il s’agit aussi d’éviter de tomber dans une image par trop abstraite.
Nombreux sont les réalisateurs qui sont parvenus à conserver la dualité de la beauté du haïku qui leur était alloué − la liste de ceux-ci serait trop longue, d’ailleurs, puisque le poème comporte 37 haïkus, et donc 37 réalisateurs (et s’il ne fallait en citer qu’un seul, que cela soit le célèbre Youri Norstein, qui illustre magnifiquement le premier poème, celui rédigé par Bashô lui-même). Si quelques-uns déconcertent franchement, la plupart sont parvenus à conserver l’intégrité de leur style narratif en même temps que celui propre au poème. À partir d’un poème destiné à présenter le florilège des styles de ses multiples auteurs sur un thème et un style imposés, le film parvient à offrir un panorama des talents divers et des sensibilités propres de chacun des artistes d’animation, à travers le monde. Kawamoto est parvenu, avec son projet si pertinent artistiquement, à la fois à rendre justice au genre littéraire du renku et à proposer un compendium des styles d’animation qui ne soit pas uniquement un catalogue creux. Une belle œuvre, artistiquement infiniment prégnante, et que l’ajout d’un mini documentaire sur la réalisation du film (qui est tout de même passablement léger par rapport à ce que l’on aurait pu attendre du sujet) complète utilement.