Les humains envahissent le territoire de deux clans de blaireaux ennemis, et ceux-ci s’allient pour déclarer la guerre aux envahisseurs. Leurs armes : dérision, humour, sacrifice, métamorphose, un solide sens du rythme chez le réalisateur et une animation sans faille. Pompoko est une œuvre iconoclaste de Takahata, drôle, amère et intelligente.
Isao Takahata est, avec Hayao Miyazaki, le second principal réalisateur à avoir œuvré pour le prestigieux studio Ghibli. Si les deux complices ont souvent travaillé ensemble, l’œuvre de Takahata est à placer sous le signe d’un quotidien plus paisible que les fresques grandiloquentes et dantesques de Miyazaki. Il a réalisé l’inédit à ce jour Omohide Poroporo, ainsi que le méconnu Mes voisins les Yamada. Si son nom reste inconnu du grand public, son film le plus connu – Le Tombeau des lucioles – a largement contribué à la reconnaissance du cinéma d’animation en France, et reste un chef-d’œuvre bouleversant qui dépasse largement les limites de son genre cinématographique. C’est ainsi que la sortie, aujourd’hui, de ce Pompoko peut étonner, tant il est hétéroclite dans la filmographie du réalisateur. Isao Takahata reste avant tout un peintre du quotidien, et si la fantaisie prend place dans cet univers, ce n’est que très rarement.
Pompoko conte l’histoire de deux clans de blaireaux (« tanuki »), de nos jours, qui se disputent la suprématie sur un petit morceau de terrain et une maison abandonnée. La guerre fait rage jusqu’au jour où l’homme reprend le contrôle du terrain, chassant les combattants, et leur retirant leur raison de combattre. Ils décident donc de s’unir et de chasser les humains. Quand ils se rendent compte de leur impuissance, ils décident de faire appel à leurs antiques pouvoirs de métamorphoses pour conquérir le monde de ces usurpateurs. Il s’agit d’un baroud d’honneur, pour montrer aux humains qu’ils ne sont pas les seuls habitants de ce monde.
La mythologie japonaise prête à – au moins – deux animaux le don de métamorphose et des intentions parfois malveillantes à l’égard des humains : ce sont les Tanuki et les renards – les Kitsuné. Ces deux animaux sont d’anciens « petits dieux », dont le culte est encore très présent, sinon dans la culture japonaise actuelle, au moins dans le monde conté par Miyazaki et Takahata. Les Tanuki de Pompoko possèdent à plus ou moins grande échelle ce don de métamorphose, mais ils sont en dehors de cela parfaitement proches des humains, et c’est comme eux qu’ils se battent, discutent, parlementent, courtisent… Ils restent cependant inadaptés à la société humaine moderne – ils ne savent plus guère se transformer convenablement, à la différence de leurs cousins les Kitsuné, qui eux ont parfaitement réussi leur intégration dans le monde. Ceux-ci évoluent parmi nous avec une remarquable aisance, et tiennent d’ailleurs des bars à hôtesses.
Le mystère se résout donc : Takahata vêt ici les humains des oripeaux des Tanuki, mais c’est bien la chronique d’une fraction de la société, qui vivrait encore selon d’anciennes lois et coutumes face à un monde toujours plus rapide et cynique, qu’il dépeint. Ils vivent selon un code moral forgé par la nature, et Takahata se pose comme une sorte de Rousseau, prônant un retour à l’état de nature, à l’humilité et au respect entre les êtres. Comme dans Le Voyage de Chihiro, le message en filigrane est une idéologie traditionaliste, ferme sans être dogmatique : les voies du passé ne sont pas forcément rétrogrades, et contiennent une sagesse qu’il conviendrait aujourd’hui de considérer à nouveau. Les humains présents dans le film sont quant à eux diaphanes, attachés à leurs nouvelles normes et coutumes, qui se centrent principalement autour de l’individualité et d’un quotidien fade et rythmé par le travail. La préférence de Takahata va donc clairement à ses héros animaux : même les renards, pour cyniques et mesquins qu’ils soient, restent en cela fidèles à leur nature, ce qui n’est finalement pas le cas des humains.
Pompoko est donc un film à la densité culturelle et traditionnelle impressionnante, et c’est également le cas d’un point de vue pictural : c’est pour Takahata le film de toutes les folies. Dans la scène de la première bataille, ou lorsque les Tanuki décident de prendre la ville des humains d’assaut et de leur infliger une grande parade des fantômes et des illusions, toutes les extravagances graphiques sont permises. Isao Takahata ose toutes les audaces grâce à un média qui, à l’époque de réalisation du film (1994), était le seul à permettre une telle folie visuelle. L’humour est omniprésent, bien que le scénario oscille toujours entre la peur de l’homme et le désespoir de voir disparaître son mode de vie, si ce n’est pas cette vie même…
Finalement, malgré les apparences, Pompoko n’est ni un film mineur, ni un film léger. C’est un film d’une richesse culturelle appréciable, et au message clair, mais qui n’impose rien et laisse à son spectateur le loisir de se laisser simplement porter par un rythme soutenu et une mise en scène délirante, foisonnante, et d’une infinie richesse. La thèse écolo-humaniste soutenue par le scénario – comme dans Nausicaä ou Princesse Mononoke – est intelligemment exposée, et se refuse à la facilité d’une intrigue idyllique. Pompoko est un film drôle, enjoué, rythmé, intelligent, mais Takahata le rappelle : si les humains ne sont pas les seuls habitants de ce monde, et s’ils doivent la considération à d’autres espèces, il faut qu’ils se souviennent de leurs devoirs avant qu’il ne soit trop tard…