Toujours dans l’ombre de son compère largement plus médiatisé Hayao Miyazaki, Isao Takahata s’est, de plus, fait rare ces dernières années – sa dernière apparition sur les écrans français date de 2003, avec un délicieux segment du film omnibus Jours d’hiver. Plus de dix ans après, donc, le réalisateur poursuit le virage formel amorcé dans Mes voisins les Yamada, avec une adaptation visuellement bouleversante du traditionnel Conte du coupeur de bambou, qui suit les pas d’une étrange princesse miniature dans le Japon féodal.
D’où vient-elle, cette princesse miniature, découverte dans un étrange pied de bambou scintillant au milieu d’une forêt nourricière ? Recueillie par le vieux coupeur de bambous et sa femme, elle se transforme en gros bébé goulu. Le merveilleux s’installe alors chez ce couple simple. Pousse de Bambou grandit, grandit à vue d’œil. À la faveur d’un changement de plan, elle prend plusieurs centimètres. C’est la première et délicieuse idée de cinéma de ce film : plutôt que d’employer l’ellipse pour traduire le passage du temps, Takahata choisit le merveilleux.
Entourée de parents aimants et d’une troupe d’amis emmenée par Sutemaru, Pousse de Bambou grandit, donc, au sein d’une nature prodigue et bienveillante. Il n’y a qu’à se baisser pour cueillir des melons ou attraper un faisan. Pourtant, le coupeur de bambous pense sa fille adoptive vouée à un destin princier et choisit d’employer le trésor découvert dans le creux de l’arbre magique pour édifier dans la capitale un palais où elle pourra recevoir la meilleure éducation.
Si le film fonctionne en rejetant dos à dos le monde de la civilisation et celui de la nature, la rigueur de la formation princière et la fougue de l’apprentissage de la liberté, cette opposition n’est pourtant jamais manichéenne. La ville est le décor des faux semblants. L’habit et le masque que revêtent les parents, la transformation physique qui est imposée à la jeune fille pour coïncider avec son statut de princesse lorsqu’elle est rebaptisée Princesse Kaguya, en sont les signes les plus superficiels. Les mensonges des prétendants qui se bousculent pour épouser la princesse témoignent, eux, d’une plus profonde turpitude. Le monde de la ville est aussi celui de l’art savant (la calligraphie, le koto) que Kaguya assimile en un clignement de cils, alors que dans la forêt, l’attention était portée sur l’artisanat comme dans la très belle scène de la fabrication des bols.
Bien sûr, la préférence de Takahata va à cette seconde forme de création et l’on sent qu’il range son activité de cinéaste du côté du travail manuel bien plus que de celui d’un art de salon. Car dans Le Conte de la princesse Kaguya, le travail du dessin est tantôt d’une finesse extrême, tantôt jeté à gros traits. Takahata choisit de faire cohabiter au sein d’un même film des styles différents afin de traduire au mieux les sentiments. L’exemple le plus frappant est la course effrénée de Kaguya pour rejoindre sa forêt perdue. La vitesse de son déplacement et sa fureur sont traduites par de gros traits apparents. Bien différent du travail de son comparse du studio Ghibli, Hayao Miyazaki, Takahata ne cherche pas la perfection de la représentation par le dessin, mais bien davantage l’évocation. Souvent, les décors ne sont qu’esquissés, avec une finesse de trait exceptionnelle. C’est là la seconde et bouleversante idée de cinéma : le dessin peut tout exprimer, à moins de le considérer avec humilité.