Depuis les triomphes de Princesse Mononoke (Hayao Miyazaki) et du Tombeau des lucioles (Isao Takahata), la France n’en finit plus de redécouvrir les inédits du studio Ghibli. On pourrait se dire que Panda petit panda, assemblage de deux moyens-métrages datant de 1973, relève plus du fond de tiroir que de l’œuvre réellement prégnante. Et combien on se tromperait !
La politique de distribution du studio Ghibli – le corps de l’artiste bicéphale Miyazaki / Takahata – en France, sous la houlette de Buena Vista International, et donc de Disney, fleure bon l’exploitation hégémonique telle que l’oncle Walt a si bien su la créer. Chaque nouveau DVD Disney est estampillé « le Vrai Chef-d’Œuvre de Disney » (avec les majuscules), chaque réédition de Ghibli, « le nouveau chef d’œuvre de (Hayao Miyazaki / Isao Takahata)» (sans les majuscules, cette fois) – à tel point que des films n’ayant rien à voir avec le studio, tels que Le Serpent blanc, sortirent en leur temps avec l’estampille « a inspiré Miyazaki ».
Or, qu’on se le dise, les deux réalisateurs du studio Ghibli sont de grands artistes, mais tous leurs films ne sont pas bons à prendre (de même que chez Disney, d’ailleurs). Par exemple, si la ressortie, discrète et honteusement expédiée, du merveilleux Kié la petite peste de Takahata, se justifiait pleinement, celle d’Horus, Prince du Soleil, film sur lequel le duo a travaillé, était d’un intérêt plus que douteux, hormis pour les historiens du style Ghibli. Même les génies ont leurs petits moments de baisse de régime, semble t‑il. C’est donc avec crainte et excitation qu’on attendait ce Panda petit panda – qui se révèle tout à fait à la hauteur de Kié, et à ranger parmi les meilleurs Ghibli.
On y suit donc les aventures de Mimiko, petite fille espiègle vivant avec sa grand-mère, jusqu’au jour où celle-ci doit se rendre auprès de sa famille. Ravie, la gamine débrouillarde assure la vieille chenue et inquiète : elle saura se débrouiller. Et s’il y a des cambrioleurs ? « Chouette, lance-t-elle, ce seront mes premiers !» Pas de problème donc pour la petite Mimiko, fille sans parent et heureuse de l’être. Rentrée chez elle, Mimiko se trouvera bien vite en présence de deux locataires un brin encombrants, un petit panda et son énorme papa, gros plantigrade très civil – et parlant très bien la langue des humains – attiré là par les bambous de qualité supérieure.
Dès les premières images de Panda petit panda, on est en pays de connaissance : le générique – à la musique passablement criarde, hélas – est calqué sur celui de Mon voisin Totoro. La parenté avec le conte écolo de Miyazaki est d’ailleurs évoquée à plus d’un titre, notamment dans le style visuel du panda et de bébé panda, rappelant évidemment celui du sympathique esprit sylvestre, et celui de ses déclinaisons plus petites, Chu-Totoro et Chibi-Totoro – jusque dans le personnage de Mimiko, calque évident de la petite Mei. L’imaginaire de Miyazaki est omniprésent, jusqu’à des évocations presque littérales de la seconde partie de Ponyo sur la falaise dans le second moyen métrage.
Mais si la patte de Miyazaki est bien présente, c’est véritablement la sensibilité d’Isao Takahata qui transparaît dans Panda. Le réalisateur du Tombeau des lucioles est moins connu pour le reste de sa filmographie, pourtant infiniment supérieure : Omohide Poroporo, Mes voisins les Yamada, Kié la petite peste ou Pompoko sont ainsi de superbes chroniques douces-amères, toutes en poésie et aux sentiments en demi-teinte, pourvu qu’on veuille bien les y chercher. Car on peut voir dans Kié une chronique amusante du Japon d’après-guerre, comme on peut voir dans Panda petit panda un conte terriblement mignon et enfantin. Mais Kié comme Panda font également le sombre portrait d’une jeunesse égarée, pour laquelle le merveilleux répond en contrepoint indispensable à l’équilibre.
Ainsi, Mimiko est une petite fille qui prend avec le sourire la nécessité de vivre seule, et les villageois qui l’entourent sont très prévenants. Mais il reste que face à toutes les difficultés qu’elle rencontre, Mimiko devra répondre seule, assumer ces réponses, voire prendre l’initiative, lorsque les adultes, indolents et généralement idiots, restent les bras ballants – au même titre que la vigoureuse Kié assume la vie de famille à la place de son ivrogne de père. Si Totoro mettait la jeune Satsuki dans la même position, le propos de Miyazaki était plus romanesque, peut-être moins teinté de l’urgence sociale qui sous-tend l’œuvre de Takahata.
Takahata n’est pas Paul Grimault. Pourtant, le surréalisme et l’ombre de Prévert pénètrent son œuvre, et particulièrement ce Panda petit panda, inoffensif en apparence. Takahata excelle à opposer un merveilleux d’une belle poésie et d’une rare cohérence (voir, par exemple, le bento (la cantine) de Papa Panda préparé dans un bambou creux…) à une situation sociale crédible – même si elle n’est dessinée qu’en filigrane. À l’écoute de leur temps, en 1972 – 3, Takahata et Miyazaki jettent un regard fin sur des problématiques de société qui restent très actuelles. Qu’ils proposent comme alternative la fantaisie et le rêve paraît bien être la réponse la plus pertinente à la morosité ambiante.