Dans une bucolique campagne d’Europe orientale, une jeune femme déshonore son mari. Elle se retrouve sur la route avec son fils pour un périple chargé d’un passé traumatique. En dépit de ses qualités, ce film fauché (tournage financé par un héritage, suivi de quatre années d’une très incertaine post-production) s’avère bancal et ne parvient pas à se rendre libre vis-à-vis de ses sources d’inspiration.
« Zsigismond est au courant » entend-on comme une rumeur. Zsigismond est le mari de Katalin. Si son visage est vaguement christique, cela ne le rend pas enclin au pardon puisqu’il va répudier sa femme pour une faute volontairement maintenue dans le flou, même si on déduit aisément que madame n’a pas été tout à fait irréprochable aux yeux de son mari et que le père du fiston n’est peut-être pas celui qu’on croit. On apprendra que c’est à peu près ça, mais que la culpabilité est une donnée bien relative. La ténébreuse affaire conduit Katalin à se lancer sur la route en carriole avec son fils Orbán. « Grand-mère est malade » raconte-t-elle à ce dernier, comme on dirait que papa est parti en voyage. Mais c’est une froide et terrible vengeance que l’on va parcourir tout le long de ce chemin.
On est ici entre Roumanie et Hongrie, dans la verte et mystérieuse Transylvanie, dans les paysages de Carpates. Un monde rural pétri d’un code de l’honneur et de traditions à faire saliver Jean-Pierre Pernaud. Sans les percées d’un présent (le téléphone portable, deux jeunes filles sapées « à l’occidentale »), cette fuite en charrette de Katalin, dont la tête est la plupart du temps surmontée d’un fichu, appartiendrait à un monde semble-t-il révolu. Étrange trajectoire pour Peter Strickland, Anglais de la bonne ville de Reading, qui se retrouve à tourner ici son premier long-métrage dans une langue, le hongrois, tout à fait mystérieuse et avec des comédiens également du cru. Outre la piste d’une évidente explication économique, une seconde est constituée par le fait que le jeune réalisateur a biberonné du Paradjanov et du Tarkovski durant sa tendre jeunesse. Alors, cinématographiquement, il regarde droit vers l’Est. Cette nourriture enfantine conduit à une empreinte très marquée de ces cinéastes, ce qui a tendance à prendre parfois le dessus sur le film lui-même. En mêlant les deux réalisateurs russes nommés ci-dessus, cela donne : la présence poétique de chevaux égarés ça et là, un goût pour une religiosité et une atmosphère proches d’une sorte de primitivisme, un net penchant pour les compositions picturales (dont le clair-obscur), la nature comme motif et paysage des âmes. Ajoutons à cela une bande sonore et musicale mentale et atmosphérique qui singe globalement celles composées par Eduard Artemiev pour Andreï Tarkovski. Le problème ici est qu’elle devient envahissante (elle est aussi beaucoup moins bonne…) et sert à rehausser les aspects visuels voire, en se révélant très narrative, à se substituer à ceux-ci. Tout le monde n’a pas la capacité à produire des images assez puissantes pour laisser au second plan une musique qui l’est aussi.
Si Peter Strickland transformait cette rencontre de l’influence de ces cinéastes et d’un lieu en un regard et une vision, ce décentrement serait une valeur ajoutée. S’il n’est pas dépourvu en la matière, le réalisateur reste tout de même assez prisonnier de son positionnement d’étranger, notamment vis-à-vis de la rudesse des mœurs de cette marge européenne. Et ne parlons pas de ces flics locaux qui, crânes rasés et cuirs noirs, semblent tout droit sortis d’un tournage d’une production EuropaCorp de l’ami Luc. Une fois ces réserves posées, il serait injuste de considérer Katalin Varga comme un complet ratage. On notera le jeu déterminé et fiévreux de Hilda Péter dans le rôle principal, saisi dans de nombreux gros plans. De dos, de face comme de profil, la maîtrise des expressions du corps et des émotions est évidente pour cette débutante venue de la scène théâtrale hongroise. Si elle est redondante, la captation de la nature – sons, couleurs (notamment le jeu sur la palette des verts) et textures – parvient parfois à se placer dans l’ordre de la sensation. Il faut signaler, sur ce point, qu’un film, lui aussi sous forte influence russe, comme Un lac de Philippe Grandrieux le surpasse sans coup férir. Alors que l’ensemble est basé sur l’intention poétique et visuelle, les deux meilleures scènes résident dans la confrontation de Katalin avec les objets masculins de sa vengeance : dans un bar et sur une barque (dans cette dernière, un troisième larron, l’épouse, est un témoin silencieux, ce qui lui sera fatal). Ces deux segments reposent sur le dialogue et la durée, et l’on obtient ici une tension et une simplicité qui font souvent défaut par ailleurs.