Vindicatif et militant, le dernier Ken Loach use et abuse des ficelles du documentaire didactique pour faire émerger une idée politique forte : retrouver aujourd’hui le sentiment de solidarité qui a marqué l’Angleterre en 1945 et a mené la gauche à la victoire.
L’Esprit de 45 revient sur le bouleversement qu’a connu l’Angleterre au sortir de la guerre. Après les horreurs du conflit, les Anglais se retrouvent dans une misère quotidienne induite par les grands fléaux : pauvreté, maladie, manque de logement, insalubrité et chômage. Le film retrace à travers des images d’archives commentées la chronologie des faits dès 1940 en se focalisant sur le quotidien du peuple (avec des détails aussi évocateurs que les literies infectées par la vermine). Car son propos est de reconstruire la genèse d’un mouvement émanant de citoyens détruits mais pas désespérés, convaincus que la seule solution pour sortir cette impasse est l’union, une conviction que le film nomme : l’esprit de 45. En effet, 1945 marque la victoire du parti travailliste et l’accession au pouvoir de Clement Attlee, connu pour avoir nationalisé le système de santé et bien d’autres secteurs de l’industrie comme les mines de charbon ou les chemins de fer.
Ce que le film cherche à dépeindre, à travers les témoignages de personnes ayant passé de la misère à une vie décente, c’est un moment de conscience collective exacerbée où l’individualisme semblait avoir été provisoirement remplacé par les efforts de chacun pour le bien-être de tous. La parole des témoins, entrelacée aux archives, attestent de l’impression partagée d’un véritable changement, d’une amélioration que quelques-uns qualifieront même de bonheur – anecdote émouvante d’un homme ayant gardé toute sa vie dans son portefeuille la lettre de l’état lui annonçant l’attribution d’un logement personnel. Les personnes interviewées évoquent autant les changements singuliers de leur condition de vie – « au départ on se faisait soigner si on avait de l’argent ensuite les soins étaient accessibles à tous » – que des réflexions plus générales sur l’articulation entre économie et politique. Ces réflexions, empreintes de bonne volonté, relèvent parfois d’une naïveté touchante loin (très loin) des réalités économiques, à l’image d’une dame qui raconte comment son père, carte géographique à l’appui, proposait une répartition égalitaire des ressources mondiales…
Après une période que le film présente comme un modèle à suivre et qui pourrait constituer aujourd’hui une solution pour l’Angleterre, le Royaume-Uni a connu des moments plus sombres dès la fin des années 1970. Dans L’Esprit de 45, Ken Loach, fidèle à son cinéma, ne fait pas l’économie de la façon dont les individus se retrouvent aux prises avec un système politique qui leur fait la peau : ce système prend les traits de Margaret Thatcher et de son libéralisme triomphant, qui a conduit, c’est du moins ce que suggère le film, l’Angleterre dans l’impasse où elle se trouve aujourd’hui.
Le film se compose d’une part d’images d’archives sur lesquelles sont apposés des commentaires, d’autre part de témoignages contemporains. Ces choix formels plutôt classiques, propres aux formats TV, comprennent l’avantage de rendre limpide le propos voulu par l’auteur. Car, et ce n’est rien de le dire, L’Esprit de 45 est un film militant, d’un militantisme assumé. Cette absence de « style » se comprend comme un souci didactique, comme une volonté de coller au plus près à son sujet. Malgré cette faiblesse cinématographique, L’Esprit de 45 est un film central de la filmographie de Ken Loach tant la problématique qui y est soulevée est cohérente avec celle qui sous-tend ses œuvres précédentes : le cinéaste n’a pas cherché à faire du genre mais à aborder frontalement une histoire politique et sociale dont ses personnages, depuis plus de 40 ans, portent les stigmates et les espoirs.