Comédie sur l’évasion et la poursuite désespérée du bonheur, L’Iceberg louche tout à la fois du côté de l’absurde, du burlesque à la Buster Keaton et de la tendresse pour des personnages bancals.
Du cinéma belge, deux tendances lourdes se dégagent : d’un côté, le cinéma social et réaliste des frères Dardenne, de l’autre, l’humour noir d’un Poelvoorde époque C’est arrivé près de chez vous et Les convoyeurs attendent. Au pays du bouffon du roi Noël Godin, alias l’Entarteur, on sait ne pas se prendre au sérieux. Les trois réalisateurs de L’Iceberg ont érigé cet état de fait comme un principe, principe qui guide leur premier long-métrage, ponctué par un ton burlesque du début à la fin.
Dans une grise banlieue bruxelloise, Fiona, la petite quarantaine, vit des jours tranquilles – trop tranquilles – entourée de son mari, le pâle Julien, et de ses deux enfants qui ne parlent jamais. Une vie trop banale pour Fiona, la gérante d’un fast-food, grande rousse dégingandée à l’air lunaire. Un soir, à la suite d’un malencontreux accident, elle reste coincée toute une nuit dans la chambre froide du restaurant. Après plusieurs heures emmitouflée dans des cartons et des sacs plastiques, Fiona est libérée par ses employés, presque congelée mais vivante. Mais voilà, façon syndrome de Stockholm, ce séjour en chambre froide, bien loin de la traumatiser, fait naître en elle un irrésistible désir de glace et de grand nord, d’iceberg.
Sur l’air connu du « c’est trop pour moi, je quitte cette misérable existence et je pars réaliser mes rêves les plus fous », L’Iceberg est construit, selon le mot de ses auteurs, comme un « sea movie ». Fiona décide donc de quitter mari et enfants, pour atterrir sur la côte normande avant de prendre le large avec René le marin, sourd-muet, aux manœuvres d’un petit bateau nommé « Le Titanique ».
À la vision de la bande-annonce et de sa déferlante de gags, beaucoup basés sur le comique de geste et de situation, on s’attendait à n’être qu’un éclat de rire tout au long du film. Mais en fait, L’Iceberg tire plus du côté de la poésie burlesque que de la franche rigolade. Véritables clowns amoureux de Chaplin et de Keaton, Fiona Gordon et Dominique Abel s’en donnent à cœur joie dans la contorsion des corps et les situations loufoques : Fiona, en pleine nuit, fait tomber brutalement Julien du lit et se met à prendre des pauses d’iceberg, cachée sous le drap, comme un fantôme endormi. Julien, au radar le matin, se lève en faisant signe à Fiona de ne pas se réveiller, ne se rendant pas compte de son absence (elle gèle dans la chambre froide cette nuit-là…), et vient machinalement enfiler son immense slip en guise de tricot de corps, et son tricot de corps en grande culotte. Fiona, prise d’une violente crise de larmes, se réfugie dans son lit, et l’on voit seulement, en gros plan, ses pieds secoués de sanglots dépasser de la couette. Fiona s’embarque à l’arrière d’un camion, et dans le compartiment obscur, on voit juste ses yeux clignoter, puis une kyrielle d’autres paires d’yeux, qui sont en fait des clandestins africains.
De même, le scénario basé sur l’enchaînement de situations, laissant de côté la psychologisation des personnages (très peu de dialogues, jeu très physique et extraverti), participe du même univers « d’à côté » de L’Iceberg. Le talent de cette bande d’acteurs, qui ont monté des pièces ensemble (jouées au festival d’Avignon) et plusieurs courts métrages, servis par leurs physiques atypiques dont ils savent jouer, contribue à rendre le film drolatique et sympathique. Les trucs et astuces – pas de grands effets spéciaux ici ! – pour les scènes de mer et le côté studio fabriqué dans un garage accentuent l’aspect décalé d’un film qui a décidément décidé de ne pas se prendre au sérieux.