Déjà un très gros succès outre-Atlantique, 300 risque d’encourager les producteurs américains à adapter des comics plus « adultes » au cinéma. Mais à les adapter dans le mauvais sens : commercialement, sans en respecter l’esprit et la réflexion, en les dénuant de tout intérêt. Zack Snyder, déjà responsable d’un remake de Zombie (Romero, 1978) fade et lavé de son discours politique, livre un film totalement privé d’enjeux thématiques qui trahit par son esprit très hollywoodien et son esthétique publicitaire, la BD dont il s’inspire.
300, la bande dessinée de Frank Miller (scénario et dessin) et Lynn Varley (couleur), racontait comment le roi Léonidas et sa petite armée de trois cents guerriers sanguinaires tinrent tête à la faramineuse armée perse du roi Xéres lors de la célèbre bataille des Thermopyles. Avec son style expressionniste, la concision de son découpage et son incroyable sens du dialogue, Miller délivrait une vraie réflexion sur l’honneur et la victoire. Ses ouvrages content systématiquement l’histoire d’un individu marginalisé par son inflexible idéologie qui le mènera inexorablement à sa perte mais donnera par là même un sens à sa vie. Très inspirée de la culture japonaise pour ses histoires de ronin (samouraï sans maître) ainsi que des vieux romans noirs américains, pour leurs personnages désabusés et leurs peintures lyriques d’un monde corrompu jusqu’à la moelle, son œuvre, qui tend vers un romantisme exacerbé, est certainement l’une des plus passionnantes de l’univers des comic books américains.
Sin City (2005, Roberto Rodriguez) revendiquait son statut d’adaptation en tentant de reproduire l’univers visuel de Miller, en reprenant son découpage case par case et en gardant son texte à l’identique. 300 de Zack Snyder s’inscrit dans la même veine, reprenant la presque totalité de le BD et en utilisant les mêmes procédés infographiques que Sin City (décors incrustés en fonds bleus, travail de la lumière et des couleurs sur ordinateur) pour en retrouver l’esthétique. Mais pas aussi fétichiste que Rodriguez, Snyder prend quelques libertés avec l’intrigue et le découpage qu’il étoffe. Dans sa fidélité mimétique un peu naïve et pas très intéressante, le film de Rodriguez arrivait parfois à retrouver l’intensité de la poésie noire de Miller, notamment grâce aux superbes dialogues de ce dernier. 300, quand il transpose le talent de Miller à l’écran, ne touche que partiellement, tant tout ce que Snyder apporte à l’œuvre originale annule sa force. Il ne s’agit pas ici de comparer la qualité du livre et du film, mais de voir comment le cinéma hollywoodien par ses systématismes et son incapacité de plus en plus chronique à élaborer des thématiques, peut vider de toute substance un sujet aussi puissant et riche que le chef d’œuvre de Frank Miller.
Quand Léonidas décide de partir au combat contre les perses, malgré l’interdiction du conseil, il sait qu’il ne reverra jamais sa femme, Gorgo. Dans la BD, leur dernière rencontre, furtive et déchirante, au détour d’un regard, se concluait sur cette légende : «“Adieu mon amour.” Il ne le dit pas. Il n’y a pas de place pour la douceur. Pas à Sparte. Pas pour la faiblesse. » Dans le film de Snyder, une voix-off remplace la légende en conservant le texte à l’identique. Seulement la scène se déroule différemment, dans une accumulation de clichés qui contredisent le texte : 1- Léonidas regarde sa femme, 2- celle-ci lui glisse en collier autour du coup, 3- il la quitte la laissant seule dans un champ de blé. La cruauté de la mentalité spartiate, pourtant moteur de l’histoire, apposée à ces vignettes édulcorés, devient caduque, et ne semble pas entièrement assumée par le film. Comme si, devant la réserve sentimentale de Miller (pourtant bouleversante), le cliché hollywoodien ne pouvait se résorber. Tout le film oscille ainsi entre les fulgurances de Miller et le pathos d’Hollywood. Le travail de Snyder ne consiste qu’à expliciter laborieusement les subtilités et le discours de la bande dessinée, à émouvoir à coup d’effets lacrymaux et à réduire la violence graphique à un spectacle puéril. Aucune dignité chez Snyder, ni distance, ni point de vue. Sa réalisation ne repose que sur les prouesses techniques (les scènes de batailles filmées en plans séquences, tout en accéléré/ralenti et en zoom/dézoom) et le ripolinage de l’image à la palette graphique. Car le film (carrément détestable) n’a foi qu’en la technologie et ne compte que sur elle pour exister. Il y a quelque chose de profondément arrogant dans cet étalage de savoir-faire technologique et infographique, qui dispensent Snyder de faire exister les personnages par la mise en scène et qui lui font croire que, quoi qu’il arrive, le numérique leur insufflera la vie. Et le cinéma dans tout ça ?