Sortie technique en France, la comédie graveleuse de Steve Pink s’inscrit dans le genre très tendance du plaisir coupable, et pourrait prétendre au mini-culte (d’autant plus que sa sortie s’annonce discrète) si un soupçon de rythme et de cohésion lui permettait de dépasser le désopilant et prévisible foutoir truffé de références pour post-trentenaires. Indubitablement le script le plus improbable de l’année, pour une comédie-Budweiser pas désagréable à s’envoyer derrière la cravate, mais qui ne se situe tout de même pas dans le haut du panier de ce que les USA savent offrir (ni Stiller, ni Apatow, ni Farrelly), malgré l’efficacité biblique de ses gags et numéros scatos.
Pour ceux qui attendent le film (on va supposer qu’il y en a), on préfère prévenir : il va falloir faire vite, très vite, celui-là ne va pas rester longtemps à l’affiche, et vous devrez trianguler fissa les salles qui le projettent ; si vous aspirez à une vilaine cuite après la contemplation de la superbe austérité du Beauvois, en tout cas, c’est par ici que ça se passe.
On vous résume le pitch le plus réjouissant/sidéralement crétin de 2010 : trois amis séparés par des vies qui ont gentiment viré au fiasco décident, suite à la vraie-fausse tentative de suicide du plus déglingué d’entre eux, de pèleriner sur les lieux de leurs défunts winter breaks, pour un trip nostalgico-régressif (au sens propre…). Dans leurs valises, de la boutanche, des désillusions, des rancunes tenaces, et le neveu nerdissime de Cusack (Clark Duke, déjà employé récemment dans Kick-Ass, autre pâtisserie pour geeks). Pour les bienheureux qui, partant, se penseraient à la bordure de la comédie dramatique indé, précisons que l’extraction canino-anale de clés de BMW au bout de deux minutes de film a déjà défini l’horizon d’attente, si le titre n’y avait pas suffi.
Une fois rendus, nos quadras mousquetaires constatent que l’Éden perdu a lui aussi pris une claque à la mesure du temps écoulé. Fort heureusement, et sans qu’on s’embarrasse trente ans d’explications techniques autres qu’éthylo-sommaires (là aussi fort heureusement), les quatre losers se retrouvent incidemment à écluser et faire trempette dans un… jacuzzi à voyager dans le temps, boosté à l’energy drink russkoff, qui les ramène à la glorieuse époque des exploits estudiantins des trois potos, et ressuscite une journée épique des « folles » eighties (dont le personnage de John Cusack a l’idée lumineuse de rappeler qu’elles ne furent pas si folles, entre Reagan et sida). Un jour de 1986, pour être exact, à revivre sous l’apparence d’alors, en attendant qu’un spectral réparateur (Chevy Chase, histoire de ne pas dépareiller) s’attelle à préparer le retour.
T‑shirts Miami Vice, portables taille Gordon Gekko, borne d’arcade Mario Bros, walkmans, anoraks fluo, mulets et crinières ringardes… : c’est facile, mais le voyage de nos Oui-Oui au pays de Wham (ou Mötley Crüe, ici) est forcément irrésistible pour ceux qui en conservent quelques souvenirs. Sans compter que le film brasse (pille), outre les références culturelles et musicales, les monuments cinématographiques de l’époque, à commencer par Retour vers le futur (on retrouve d’ailleurs avec plaisir Crispin Glover, dans un running gag exquis) : à ce stade on n’en est plus à l’hommage, mais carrément à la réécriture, niveau considérations sur le continuum espace-temps (tout refaire ou tout changer ?) ou concert anachronique, et les braves indigènes de la station roulent des yeux aussi ronds devant le snowboard de Lou qu’une génération de spectateurs devant l’hoverboard de Marty. Ajoutez une pincée d’Un jour sans fin (1993 certes) pour le climat et l’itération, un zeste de Wayne’s World et affiliés, toute une flopée de teen-movies avec tyrans ados et ostracismes lycéens, des allusions à Terminator et surtout Red Dawn, le tout sur fond plus actuel de Very Bad Trip (le Chernobyl-vodka remplaçant avantageusement la Jägermeister aux roofies question trous noirs), de gueule de bois rocambolesque, de cul, de vomi, de pisse et de foutre, de pouffes en fuseau, de coke et de bangs bien tassés, avec la touche nécessaire d’optimisme bon enfant (réenchantons nos vies) : rien de bien neuf donc, que du solide et du bourrin.
Total Eclipse of the… Art, pour invoquer les mânes de Bonnie Tyler, à l’époque reine des charts… On ne va pas discuter de la qualité cinématographique de l’œuvre, qui assume sympathiquement son côté foutraque et charpenté à l’arrache dans le but d’égrener ses sketches au sein d’un canevas d’histoires telles qu’on n’en filme effectivement plus depuis les années 1980 : quand même, Pink (et ses scénaristes) dépasse la référence et le simple décorum, tant la matière même de sa chronique est un chromo de celles qui foisonnaient dans ces années-là. Le monsieur ne se contente pas de « reconstituer » la période, il réalise presque un (méta-)film des eighties, sorte de patchwork dans lequel des rescapés du temps jadis revivent des aventures certes déjà vécues, mais surtout semblables à celles qu’on pouvait voir en ce temps-là au cinéma, donc décodées par le prisme cinéphilique ad hoc − si c’est pas geek ça, ces voyageurs temporels qui en réfèrent à Zemeckis plutôt qu’à Einstein… De fait, les personnages, et non leurs seuls interprètes, jouent quasi consciemment dans une simili production d’époque, piégés dans une ère cinématographique autant que dans leur passé.
Cette Machine à démonter le temps déroule ainsi des scènes jouissives, qu’on aura soin de ne pas détailler tant raconter une blague peut se révéler foireux, mais l’ensemble reste assez facile, attendu, décousu (OK, c’était dans le contrat), avec devant la caméra une brochette d’acteurs en roue libre, parmi lesquels un John Cusack (également producteur de ce qui ressemble pour lui aussi à un retour aux sources) qui nous rejouerait presque High Fidelity… dont Pink était scénariste, co-producteur et superviseur musical, tiens tiens, nostalgie quand tu nous tiens… Finalement, on se dit que le bain à remugles n’était pas taillé pour décoller du statut de nanar fendard et pasticheur à celui de bombe comique planétaire à la Todd Phillips, sans oublier pour autant qu’il offre de quoi communier dans l’allégresse. On attend la VHS ?