La crise économique de 2008 peut-elle être un bon sujet de cinéma ? À en croire ce dernier film d’Oliver Stone, suite du film éponyme de 1987, elle serait le scalpel permettant l’autopsie des ravages du capitalisme au 21ème siècle. Seulement, même si Shia LaBeouf (alias Jake Moore) s’évertue à s’imposer comme un justicier de la finance, le réalisateur semble céder à un moralisme facile, loin du ton corrosif attendu.
Vingt-deux années se sont écoulées entre les deux Wall Street, dans la vie réelle comme en fiction, laissant à ce deuxième volet l’occasion de s’inscrire en parfait accord avec l’actualité de la crise financière de 2008. Dans cet univers où « l’argent ne dort jamais » on retrouve donc Gordon Gekko (rôle qui avait valu à Michael Douglas l’oscar du meilleur acteur), sortant de huit ans de prison pour fraude boursière. Miné, mal coiffé, seul, Gekko n’a plus rien d’un magnat de la finance. Tout le monde lui tourne le dos, y compris sa propre fille, Winnie, qui lui reproche le suicide de son frère. Or Jake Moore, le petit ami de cette dernière, est justement un jeune trader doué et idéaliste, qui cherche à venger le suicide de son mentor, causé par des rumeurs de tractations financières. Sans le dire à Winnie, Jake rencontre Geeko lors d’une conférence où l’ancien gourou de Wall Street loue les bienfaits de l’avidité, et lui propose un marché ; en échange d’informations, Jake l’aidera à renouer des liens avec sa fille.
Comme dans le premier opus, le monde de la finance se trouve épinglé par Oliver Stone comme un terrain de guerre où ses jeunes acteurs apprennent à leurs dépens que raison et sentiments s’y trouvent piétinés par la loi de la spéculation et de la trahison. C’est donc sans grande surprise que le film reprend les mêmes ingrédients que son prédécesseur ; le thriller financier se mêle à une trame familiale et sentimentale. Contrairement à la simple avidité du Bud Fox (incarné par Charlie Sheen) du premier volet, c’est ici la soif de vengeance de Jake Moore qui motive la rencontre avec Gekko.
Malheureusement, les mêmes codes de conduite ne sont pas toujours gage de qualité. Oliver Stone combine maladroitement ces pistes scénaristiques, loin de la virtuosité du premier opus. Cette mauvaise formule piège le film dans des situations prévisibles, que la réalisation peine à maintenir dans un rythme haletant. On retrouve certes ici la patte frénétique du réalisateur, visible dans la dénonciation de systèmes d’informations boursiers dont la vitesse dépasse leurs propres gestionnaires. Pourtant, la mise en scène perd son efficacité dans ses plus nobles intentions ; de la métaphore des bulles de savon à la chute des dominos, la finance n’aura jamais été si vite démasquée.
Gekko est le premier à payer les frais de cette réalisation démonstrative ; diable de la finance dans le premier opus, il incarnait la figure de la tentation, du Mal boursier, entouré d’une part d’ombre suffisante pour en faire un personnage aussi complexe qu’imprévisible. Dans cette suite, il est au contraire d’emblée surexposé, surmédiatisé, ce qui rend bien superficielle l’intrigue autour de son éventuel changement, malgré ses tentatives de rapprochement avec sa fille. L’erreur (dramatique) d’Oliver Stone consiste à avoir grossièrement humanisé les cibles mêmes de son propos, s’acharnant à vouloir réveiller la part de douceur qui sommeille dans ces loups de la finance.
Difficile donc de croire aux bons sentiments du film qui ne fait que survoler ses propres intrigues. La famille est ici sollicitée à outrance, Oliver Stone multipliant les pistes (la relation Jake/Gekko, Jake/son ennemi et nouveau mentor Bretton James, Gekko/Winnie) comme pour mieux étoffer une trame financière pauvre qui pose l’éternel dilemme entre famille ou argent. On peut comprendre le souhait du réalisateur d’offrir une suite originale, ancrée dans l’actualité, mais la solution apparaît trop moralisatrice pour emporter l’adhésion. Entre plaidoirie écologique − à l’image de l’idéalisme naïf de Jake − et maternité, le film sacrifie les possibilités offertes par la place boursière et célèbre la famille comme remède à la tentation financière. Alors que l’alliance secrète entre Gekko et Jake avait de quoi remettre à neuf le cynisme du réalisateur, force est de constater qu’Oliver Stone se montre ici lui-même mauvais trader, spéculant le triomphe irréel de l’amour et de l’énergie verte sur le système économique et l’appétit de ses dirigeants.
Heureusement, l’interprétation des comédiens maintient cette suite dans une intensité dramatique efficace, à défaut d’être durable. Michael Douglas livre en effet une composition plus fine, plus nuancée que dans le précédent volet, et reproduit fidèlement l’hypocrisie d’un personnage qui prône la légitimité de l’avidité sans parvenir à renouer directement avec sa fille. Dans la peau du jeune agneau, Shia LeBeouf surprend également par son énergie, même si son air encore minet ne parvient pas à contrebalancer la présence écrasante de son partenaire à l’écran. Carey Mulligan (Winnie) réussit également à imposer une belle présence, pour un personnage qui manque paradoxalement de cohérence et d’épaisseur. Loin de satisfaire ses promesses, ce deuxième volet s’apparente beaucoup plus à un thriller classique qu’à un film véritablement ancré dans son temps. Sans quoi, remise dans son contexte et rattachée au talent (re)connu de son réalisateur, cette suite a de quoi représenter le mauvais appel d’offre de la rentrée.