C’est un moyen métrage qui déjoue tous les clichés : oui, en 45 minutes, on peut dire autant – voire plus – qu’en une heure et demie ; et non, tous les films israéliens ne doivent pas obligatoirement traiter de la Shoah ou du conflit avec la Palestine. Ce n’est pas pour autant que ces thématiques essentielles de la société israélienne sont absentes de La Petite Amie d’Émile. Mais elles s’inscrivent en filigrane de l’histoire principale, celle d’une rencontre presque banale entre un homme et une femme, liés par un ami commun. Une réussite.
Delphine et Yoav ne se connaissent pas et ne se seraient jamais connus si l’une n’était pas la fiancée du meilleur ami de l’autre. Car Delphine est française, et Yoav vit à Tel Aviv. La jeune femme est venue en Israël pour faire des recherches sur les ghettos juifs pendant la seconde guerre mondiale ; elle en profite pour rencontrer cet ami israélien dont Émile, son fiancé, lui a tant parlé. Le premier contact entre ces deux étrangers est difficile : Delphine ne comprend pas que Yoav ne s’intéresse pas comme elle à la Shoah : n’est-il pas directement concerné ? Quant à Yoav, il est déçu par l’apparence physique de Delphine, qu’il trouve terne et sans intérêt. Si les deux jeunes gens décident tout de même de passer la journée ensemble, du Musée d’histoire du judaïsme à la très belle plage de Tel Aviv, c’est qu’ils sont liés tout deux par leur relation respective avec Émile, personnage mystérieux qui semble provoquer des passions et un attachement très forts…
Chacun des deux personnages principaux – et uniques – de La Petite Amie d’Emile déroule un thème différent du film. Delphine est le symbole du regard étranger sur Israël. Son unique intérêt pour le pays repose sur l’histoire du génocide juif ; sans s’être renseignée au préalable, elle est prête à prendre un taxi pour Jérusalem dans la même journée pour visiter le musée de la Shoah. Son attitude envers les Israéliens, et Yoav en particulier, repose sur un mépris et une incompréhension totales. Elle ne s’attend à l’évidence pas du tout à ce qu’elle découvre. « C’est grotesque », affirme-t-elle devant un monument énumérant les noms des victimes du nazisme. Lorsqu’une équipe de déminage s’empare de son sac abandonné pour le faire exploser, elle est prise de panique, comme dépassée par ce voyage trop « dépaysant » pour elle et hurle sa haine des Israéliens dans une crise d’hystérie totalement inadaptée au contexte. Yoav, lui, représente la jeune génération d’Israël, pour qui l’Histoire est un poids trop lourd pour qu’il ne soit pas nécessaire de l’oublier. Il montre un autre visage de la société israélienne, celle qui a appris à vivre avec la menace quotidienne des attentats, et ne pense, au fond, qu’à s’amuser, tout en vivant dans un état d’inquiétude latent. En France où il a étudié, dit-il, il a passé les meilleurs moments de sa vie. Et en effet, à Tel-Aviv, il ne fait que semblant d’être heureux et insouciant, traînant une tristesse larvée.
Le troisième personnage, Émile, brille par son absence. Il est pourtant le seul véritable lien qui unit Delphine et Yoav. Chacun d’eux essaiera de le joindre au téléphone, sans succès. Et lorsque ces deux inconnus s’embrasseront passionnément, ils ne trahiront pas vraiment leur ami commun : bien au contraire, c’est à lui qu’ils dédieront ce baiser, reconnaissant bien rapidement qu’il est le moteur de leur attraction mutuelle. Ainsi, ce sont trois histoires très différentes que Nadav Lapid entremêle ; et on aurait pu craindre qu’en trois quarts d’heure, il n’ait le temps de n’en développer aucune. Mais en choisissant de réduire au maximum les dialogues et de se concentrer plutôt sur quelques détails, le réalisateur parvient à rendre ses personnages crédibles et réalistes, sans les caricaturer. On ne sait pas grand-chose de Delphine, de Yoav ou d’Émile, mais ce qu’on nous apprend sur eux – ou plutôt ce qu’ils nous apprennent sur eux-mêmes – suffit largement. La Petite Amie d’Émile est l’histoire d’une rencontre furtive, mais importante dans une vie entre deux êtres aux antipodes l’un de l’autre. Un sujet qui paraît bien ordinaire au cinéma, mais dont le traitement, délicat, peut donner un résultat radicalement différent.
La mise en scène de Nadav Lapid n’échappe pas aux petits péchés mignons des réalisateurs qui commencent leur carrière. Son ton quelque peu poseur agace parfois, comme dans ce plan inutile de quelques secondes – trop long pourtant – du profil de Delphine, immobile, au Musée du Judaïsme. Mais la vivacité de l’ensemble, nerveusement monté, compense les quelques petites faiblesses à peine visibles. Car La Petite Amie d’Émile est aussi un joli poème d’amour à une ville, Tel Aviv, et à la société israélienne, prise dans les contradictions de son dynamisme et de son histoire, pleine de vie et obsédée par le poids de la mort.