À quand remonte la dernière vraie bonne comédie romantique américaine? Peut-être bien à Bye Bye Love (2003), le précédent film de Peyton Reed, irrésistible sucrerie méconnue dans laquelle Ewan McGregor et Renée Zellweger plongeaient avec charme et fantaisie dans un hommage aux comédies des années 1960 portées par le tandem Rock Hudson/Doris Day. En dehors de cette petite réussite, l’intouchable Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner, 1989) trône en référence quasi absolue d’un genre qui, de redites (Nuits blanches à Seattle) en concepts fumeux (Just Married… ou presque, tristes retrouvailles de l’équipe de Pretty Woman), n’en finit plus de mourir à petit feu. Si le cinéma anglais a pris le relais avec un certain brio (Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill), l’âge d’or de la comédie romantique hollywoodienne n’est plus.
La raison? Difficile, à notre époque post-Sex & The City, de croire encore à des scénarios où des héroïnes nunuches persistent pendant une heure et demie à détester l’homme de leur vie, en général un gros macho au cœur d’or. Les rares succès récents du genre en prenaient l’exact contre-pied, transformant Julia Roberts en machiavélique briseuse de couple qui, rappelons-le, termine le film dans les chastes bras de son meilleur ami homo (Le Mariage de mon meilleur ami, P.J. Hogan, 1998) ou détruisant l’archétypale formule « trentenaires WASP » au profit de l’amour gérontophile (Jack Nicholson et Diane Keaton dans Tout peut arriver de Nancy Meyers, 2003) et des couples interraciaux (Will Smith et Eva Mendes dans Hitch, 2005).
La Rupture, nouveau film de Peyton Reed pensé, produit et interprété par Vince Vaughn, inaugure un nouveau concept: la comédie romantique people. À l’heure de la télé-réalité et de la suprématie absolue de la presse à scandales, La Rupture est un film d’un nouveau type, marketé comme une ludique mise en abyme de la vie privée de son actrice principale, Jennifer Aniston. Petit rappel des faits: épouse de Brad Pitt, l’ex-Rachel de la série Friends fit la Une de tous les journaux en 2005 suite aux infidélités de son mari avec Angelina Jolie, qui permirent par ailleurs à Mr & Mrs Smith de remplir les salles l’été dernier. Film au titre équivoque, La Rupture déboule comme une riposte un brin revancharde, d’autant plus que Vince Vaughn et Jennifer Aniston entretiennent depuis le tournage une discrète mais fort opportune liaison.
Pourquoi tant de digressions si peu cinématographiques? Parce qu’elles semblent au cœur même du projet, le réel se mêlant spectaculairement au fictif, entraînant une vertigineuse lecture du film et de son aspect économique (92 millions de dollars au box office américain en trois semaines). La Rupture, en dehors de ses éventuels défauts et qualités, se pose résolument comme la comédie romantique de ce nouveau millénaire: un Loft Story luxueux scénarisé par des scribouillards tout droit sortis de chez Endemol et destiné à un public plus que jamais friand des déboires sentimentaux de ses idoles.
Que se passe-t-il dans La Rupture? Pas grand-chose, à vrai dire. Vince Vaughn et Jennifer Aniston incarnent des personnages parfaitement représentatifs de la perception que le public a d’eux-mêmes: il est un grand gaillard drôle, sympathique et irresponsable qui aime boire des bières avec ses potes devant le foot; elle est une jeune femme jolie, sensible et intelligente dont les crises d’hystérie sont prétexte à prouver qu’elle peut aussi être drôle dans l’adversité. Ils s’aiment et partagent un superbe appartement dans le centre de Chicago. Oui mais voilà: elle est lassée de son incapacité à mûrir, il la trouve étouffante. Presque comme un jeu, ils décident de se séparer tout en continuant à partager leur appartement. Et vont évidemment tomber chacun dans leur propre piège.
Sorte de Guerre des Rose dopé à l’humour sitcom, La Rupture est une succession de saynètes ni vraiment drôles, ni vraiment ennuyeuses, au détour desquelles on guette, comme dans Mr & Mrs Smith, les étincelles dans les yeux des comédiens, justifiant à elles seules le prix de la place de ciné. Le montage du film fait la part belle – et pour cause – à Jennifer Aniston, dont chaque battement de cil vient conforter ceux qui pensent que Brad Pitt a été un beau salaud. La transformation du personnage de Vince Vaughn (de gentil crétin en époux potentiellement idéal) semble être, là aussi, la projection fantasmée des aspirations sentimentales de la comédienne. Évidemment, le film ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà sur le couple et l’amour, mais son but n’est bien entendu pas là. La dernière scène, dans sa volonté très néo-hollywoodienne de remplacer le happy-end des années 80 par un final doux amer qui ouvre le champ des possibles (à une vie meilleure, à La Rupture 2) enfonce le clou: Brad Pitt n’est plus, et c’est bel et bien Vince Vaughn qui se perd dans la foule, offrant à Jennifer un clin d’œil rédempteur auquel l’actrice répond par son sourire éclatant. En 2006, la comédie romantique sera warholienne ou ne sera pas.