Yes Man signe le grand retour de Jim Carrey à la comédie burlesque. L’acteur, qui s’est surtout évertué à interpréter des rôles plus sérieux ces dernières années – à part Braqueurs amateurs –, revient ici avec une fable comique qui lui permet de reprendre le registre qui a fait son succès. Ce film, sorte de best of de son œuvre, souffre malheureusement d’un manque d’originalité flagrant. Surtout, le talent de Jim Carrey apparaît étrangement daté et dispensable, ce qui semble assez improbable pour cet acteur qui vampirise habituellement les œuvres pour créer des figures corporelles originales. Un coup d’arrêt.
Depuis que sa femme l’a quitté, Carl est devenu un individu autiste qui dit non à toutes sollicitations de ses amis et aux plaisirs de la vie. Un jour, il rencontre une vieille connaissance qui lui conseille d’assister au séminaire d’un gourou prônant le oui comme mode d’existence. Grâce à cette philosophie positive, il réapprend à vivre et à s’ouvrir aux autres, ce qui lui amène le succès professionnel et l’amour. Il comprend cependant que l’on ne peut pas dire oui à tout et qu’il faut surtout être soi-même.
Ce scénario particulièrement simpliste et naïf est illustré par Peyton Reed – auteur du médiocre La Rupture –, un réalisateur qu’on ne peut pas qualifier de chantre de la finesse : chaque idée de ce film assez moralisateur est soulignée en gras par une mise en scène et une musique redondantes afin que le spectateur « lambda » – notamment américain – puisse en comprendre les enjeux. Ce métrage est alors binaire, notre héros devenant en quelques séquences expéditives un yes man bienheureux qui dit oui à tout et qui oublie ainsi son passé dépressif. Toutefois, Carl comprend que c’est mal de ne pas être soi-même et de mentir aux autres… Le oui, bien que tourné en dérision, l’a sauvé. La morale du film est particulièrement ambiguë : si elle semble se moquer des théories de développement personnel, très populaires aux États-Unis, notre loser retrouve tout de même le bonheur grâce à elles : le gourou interprété par Terence Stamp est certes ridicule, tout comme l’attitude extrême de Carrey, mais il amène notre héros à la raison. La notion de normalité pose également problème car le film dénie dans une certaine mesure le droit à être en marge de la société : on doit absolument positiver pour rentrer dans le rang, connaître l’accomplissement professionnel et l’amour, jusqu’à en exclure les attitudes contraires, notamment celles relatives à la peine et à la mort. Celles-ci deviennent risibles et inutiles comme le prouve une séquence où un personnage qui tente de se suicider est sauvé en musique par Carrey : un pur symbole de l’aseptisation de nos sociétés qui refusent toutes réalités et images négatives. Le film est alors l’opposé de Fous d’Irene des frères Farrelly dans lequel Carrey, trop tendre, devenait délicieusement méchant dans un monde baignant dans la mièvrerie. Certains producteurs hollywoodiens semblent penser que face à l’ensemble des problèmes mondiaux actuels – économiques, écologiques et politiques – les spectateurs avaient davantage besoin d’une positivité candide qui tend à l’aseptisation des sentiments. En outre, l’image de la normalité qui nous est vendue ici est particulièrement déplorable : Yes Man est scénarisé par Nick Stoller – réalisateur de Sans Sarah, rien ne va –, un membre de l’écurie Judd Apatow dont le comique apparemment subversif est en réalité particulièrement conventionnel. Ainsi, l’accomplissement de Carl consiste à redevenir un vrai homme : boire des litres de Red Bull ; se saouler entre bons potes ; se battre pour une fille ; retrouver une femme afin de retrouver une identité sexuelle ; grimper les échelons professionnels. Joli programme qui permet de ranger Yes Man dans la catégorie des œuvres réactionnaires qui nous présentent une belle American way of life bovine.
Ce scénario est certes simpliste et parfois limite mais il a pour but de laisser libre court aux talents corporels de Carrey – comme souvent dans sa carrière. Le ressort comique du film se fonde alors sur l’incapacité à dire non de son personnage, qui se retrouve confronté à des situations burlesques délicates. Si l’acteur arrivait à transfigurer par ses prestations des œuvres parfois passables – Menteur menteur entre autres –, il semble ici étrangement remplaçable, ce qui surprend particulièrement au regard du charisme vampirique de l’acteur. Le film relève en effet du passé : Carrey semble vouloir renouer avec les bonnes vieilles recettes de ses grands succès – même dispositif, mêmes gags – sans arriver à atteindre les sommets de Fous d’Irene – dont ce métrage inverse le principe comique – ou du lamentablement jouissif Dumb and Dumber. Ses mimiques et attitudes corporelles semblent datées en raison d’un manque de spontanéité flagrant, comme si son corps malléable se refusait à régresser cinématographiquement. Par sa volonté de fusionner les œuvres burlesques et plus sérieuses du comédien dans une sorte de compilation de ses meilleurs rôles, Yes Man hésite beaucoup trop entre les genres et ressemble ainsi à un produit marketing censé relancer la machine comique Carrey qui connaît une certaine perte de vitesse. On aimerait voir l’acteur continuer dans ses prises de risques cinématographiques – relatives – afin d’être encore plus radical dans l’évolution de sa carrière. Eh bien, il dit non haut et fort et accepte de livrer une partition connue lui assurant un certain succès – Yes Man effectue d’ailleurs un bon démarrage aux box-office américain. Nous sommes alors en présence d’un film particulièrement inutile et obsolète qui s’oublie aisément. Cette impression est aussi due à la forme du métrage qui relève des comédies des années 1980 : Peyton Reed, qui a réalisé des documentaires sur la trilogie Retour vers le futur et sur Forrest Gump, est un enfant de Robert Zemeckis et des comédies de l’époque. Il ressort du film une impression de plaisir éphémère digne des pop-corn movies de cette période qui ne souhaitaient pas développer la réflexion. Ce sentiment est renforcé par une bande son pop-rock et un générique final qui nous fait le coup de la petite séquence supplémentaire pour nerd. Cette atmosphère nostalgique peut paraître agréable mais le cinéma comique évolue et d’autres auteurs, comme Ben Stiller et les frères Farrelly, cherchent à créer de nouvelles figures filmiques en faisant une relecture trash intéressante des comédies passées et en créant des formes comiques originales. Si Jim Carrey symbolisait un renouveau de l’humour dans les années 1990, grâce aux cinéastes précités notamment, ce retour au burlesque sous la direction d’auteurs médiocres lui donne un sacré coup de vieux.