Alors qu’il rentre de l’école, Valerio, un jeune adolescent de treize ans, découvre les violences que son père fait subir à sa mère. Cette courte scène qui ouvre La Vita Possibile marque le film du sceau de l’événement traumatique dont l’enfant est victime. Ivano De Matteo choisit souvent de commencer ses films par ce genre de brefs prologues dont les répercussions servent à mettre en marche l’intrigue. On se souvient par exemple de ses précédents long-métrages, Nos enfants et Les Équilibristes, qui tous deux mettaient en scène des actes dont les conséquences condamnaient de manière irréversible l’existence des personnages. Mais ici, plutôt que de donner à voir la décomposition progressive de leur univers, de Matteo choisit de se concentrer sur le mouvement inverse allant de la déconstruction vers la reconstruction.
Un regard distancié
Anna, victime de violences conjugales, cherche à reconstruire sa vie : c’est pourquoi elle quitte Rome pour se réfugier avec son fils à Turin chez son amie Carla. Si son histoire est pourtant dramatique, le manque de relief du personnage empêche de susciter l’empathie. Mais surtout, De Matteo choisit de la filmer avec beaucoup de distance : au paroxysme du désarroi d’Anna, il opte pour des plans larges et refuse de dévoiler la subjectivité de son personnage en laissant la musique extradiégétique envahir le plan. Si Les Équilibristes laissait déjà peu de place à la subjectivité des protagonistes, la veine documentaire du film offrait au moins une toile de fond intéressante en donnant à voir les difficultés économiques de toute une population invisible. Mais dans La Vita Possibile, l’univers dans lequel évoluent les personnages – un espace urbain froid filmé à grand renfort de plans d’ensemble – finit par les engloutir littéralement.
Une parabole théâtrale manquée
De Matteo n’est pas beaucoup plus tendre avec son jeune protagoniste, constamment mis aux premières loges de scènes de violence dont la répétition est censée figurer le trauma dont il a été victime. Mais encore une fois, en faisant part d’une certaine froideur vis à vis du personnage, qu’il filme beaucoup mais dont l’intériorité reste hors de portée, de Matteo perd son protagoniste dans l’obscurité de la ville qu’il arpente en solitaire. Finalement le personnage qui aurait gagné à être creusé davantage est celui de Carla, la bonne copine comédienne un peu fantasque, car c’est elle qui aurait permis au film d’accéder à une autre dimension. En demandant à l’adolescent de l’aider à répéter son texte pour une scène de rupture amoureuse qu’elle doit jouer au théâtre, elle fait surgir à son insu le souvenir traumatique de la violence conjugale que le prologue donnait à voir. Par l’intermédiaire de la scène théâtrale se dessine ainsi la possibilité pour le jeune garçon d’interpréter la scène à laquelle il a assisté impuissant et ainsi de passer du statut de spectateur à celui d’acteur. Cependant, ce motif est abandonné en cours de route alors qu’il aurait constitué un contrepoint intelligent en faisant du théâtre l’une des possibilités de résolution de la scène traumatique initiale (un peu à la manière dont Asghar Farhadi utilisait l’interprétation théâtrale dans son dernier film, Le Client).
Finalement la trajectoire d’Anna finit par perdre tout intérêt et le personnage de Valerio ne devient qu’un prétexte pour décrire une certaine banalité de la violence. Quant à la fin démesurément ouverte du film, elle s’avère tout aussi déconcertante : on peine à entrevoir dans un happy-end aux contours assez flous cette fameuse « vie possible » que le titre annonçait.