L’Italie est en crise, et le film d’Ivano De Matteo en dresse un tableau qui commence par une crise de couple. Une famille de la classe moyenne éclate, Giulio et son épouse se séparent, sous les yeux de leurs deux enfants. Proprement, mais douloureusement. Partant avec le ton d’une comédie douce-amère dont on craint initialement une certaine tendance à la mièvrerie, d’une crise à l’autre, Gli Equilibristi – prenant parfois ses distances avec la chronique familiale, sans l’abandonner – dessine la trajectoire d’un individu glissant sur la pente très savonneuse du déclassement social. On sait qu’elle peut être rapide et vertigineuse par les temps qui courent. Le film se tend, gagne alors en justesse et en densité sans totalement se départir de quelques affèteries.
Dans Louise Wimmer, auquel on pense logiquement et qui était présenté l’an dernier à Orizzonti, Cyril Mennegun débutait son film après la chute de son héroïne, et ouvrait une fenêtre finale : un espace à soi. On suit ici Giulio lorsqu’il est avalé par la spirale du maintien des apparences et de la dignité – endettement, un deuxième emploi, etc. –, tout en finissant par dormir dans sa voiture (comme Louise Wimmer) après de calamiteuses solutions immobilières. Gli Equilibristi aurait sans doute gagné à être innervé par davantage de sécheresse dans la réalisation – par exemple à la manière de Louise Wimmer. Ici la caméra brasse régulièrement de l’air et de l’espace d’une façon quelque peu dispensable, de même pour l’enrobage musical pesant (notes mélancoliques de piano, doublées de coulées de cordes dans la séquence finale). Ces nuances énoncées, on est plutôt convaincu par la maîtrise et la fluidité du récit, et une indéniable qualité de regard de la part d’Ivano De Matteo. Giulio, petit fonctionnaire municipal, se retrouve au contact d’un monde bigarré, métissé et plus ou moins interlope ; une sorte de hors-société invisible quand on a la tête au-dessus de la ligne de flottaison. Le déclassement social est aussi un décentrement du regard, une nouvelle conscience de ce dernier, une affaire de point de vue.