Printemps 2015, une éclipse solaire introduit L’Adieu à la nuit, dernier film d’André Téchiné. Le ciel s’obscurcit, la lumière ne passe plus. Dans le centre équestre qu’elle dirige au sud de l’Occitanie, territoire frontalier avec la Catalogne, Muriel (Catherine Deneuve) accueille Alex (Kacey Mottet Klein), son petit-fils qu’elle n’a pas vu depuis longtemps, pour profiter de lui avant son (prétendu) envol pour le Canada. Très vite, Muriel découvre qu’Alex s’est récemment converti à l’islam. Guidée par ses interrogations, elle comprend qu’il s’est en réalité radicalisé et qu’il compte se rendre en Syrie pour rejoindre Daesh. Il prépare ce départ avec sa petite amie Lila (Oulaya Amamra), amie d’enfance et aide-soignante dans une maison de retraite proche du centre équestre, et Bilal (Stéphane Bak), rencontré sur Internet.
Si le cadre du drame est inattendu – joyeux centre équestre du sud entouré de cerisiers en fleurs –, le film s’enlise rapidement dans des facilités d’écriture et des dialogues esquissant un environnement propice au départ d’Alex. Échec scolaire, mère décédée, père qui a refait sa vie à l’autre bout du monde : le passif du jeune homme est posé, en trois mots sortis de l’autoradio, « montée du front national », le contexte politique est installé, tandis que quelques éléments (convictions forgées sur Internet, vol maladroit du chéquier de la grand-mère) démontrent l’immaturité des jeunes gens. Quitte à tomber dans la démonstration, tout pointe que leur déroute prend racine quelque part, sans laisser de place à beaucoup plus de complexité.
Une ouverture
L’écriture semble empêcher l’incertitude pourtant perceptible de s’installer et produit un discours parfois systématique comme lors de cet embarrassant montage alterné confrontant deux déjeuners. D’un côté, un repas festif, arrosé et décontracté au centre équestre où une adolescente se met à danser en soutien-gorge, encouragée par les rires de son entourage. De l’autre, le déjeuner froid, aux discussions macabres, auquel assistent Alex, Lila et Bilal, en tenues traditionnelles, dans une communauté prônant un islam radical.
Si Téchiné s’embourbe dans la peinture du contexte social et politique, il parvient tout de même à s’en défaire en explorant la veine sentimentale de son drame. Un chemin plus ouvert résiste, celui de Muriel vers son petit-fils, déterminée à empêcher son départ. Le film se tient à cet endroit, par l’amour violenté mais viscéral que Muriel porte pour Alex. Elle va par amour jusqu’à enfermer le jeune homme plusieurs jours dans une écurie pour le retenir. Alex s’échappe, Muriel tient debout puis s’écroule, faisant le trajet inverse : dépassée par le désir d’obscurité qui semble animer Alex, c’est elle qui sombre, dans cet environnement qui semblait si propice au bonheur. Sur ce territoire clos qui réussit à nous renvoyer à des images et à des histoires lointaines, rien ne brûle assez fort, mais subsiste la puissance d’un amour occulté par un sombre appel vers la nuit.