Près de deux ans après StudioCanal et son très beau coffret regroupant cinq des plus grands films d’André Téchiné, MK2 propose une riche édition de Rendez-Vous, souvent considéré – à tort – comme une œuvre mineure du cinéaste. En plus du film qui révéla la grande Juliette Binoche, le DVD est agrémenté du moyen métrage La Matiouette, réalisé en 1983, et de deux entretiens, l’un avec Lambert Wilson, l’autre avec Jacques Nolot.
Récompensé par le Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes en 1985, Rendez-vous est, à bien des égards, un film fort et incontournable dans la filmographie d’André Téchiné. Quatre ans après Hôtel des Amériques, le film de la rupture, Rendez-Vous prouve que le cinéaste s’est définitivement affranchi d’une cinéphilie encombrante et que ses projets sont désormais tournés vers l’humain, et non plus exclusivement vers le cinéma. Le sujet du film participe à la mise en place d’une thématique qui deviendra récurrente dans de nombreux projets suivants (Les Innocents, J’embrasse pas, Les Roseaux sauvages), à savoir la difficile initiation à l’âpreté du monde adulte.
Dans Rendez-Vous, Juliette Binoche incarne, pour ce qui reste son premier grand rôle, Nina, vingt ans, montée à Paris pour prendre des cours d’art dramatique. De galères en déceptions, la jeune femme décroche un petit rôle sans intérêt dans une comédie de boulevard et se fait accessoirement héberger par Paulot (Wadeck Stanczak) qui espère la séduire, en vain. Nina se prend plutôt de passion pour le fantomatique et fiévreux Quentin (Lambert Wilson) qui va l’embarquer dans une expérience jusqu’au-boutiste où le jeu est sans cesse transcendé par l’appel du vide et de la mort. Au bord du gouffre, la jeune femme est alors recueillie par Scrutzler (Jean-Louis Trintignant), professeur d’art dramatique endeuillé par la mort de sa fille, qui va lui apprendre à canaliser toute cette souffrance pour jouer avec intensité le rôle de Juliette dans une nouvelle adaptation du texte de Shakespeare.
Pour ce film qui lui valut le Prix Romy Schneider en 1986, Juliette Binoche prouve qu’elle est déjà une actrice physique pour qui la souffrance est un matériau et le corps, un instrument. La mise en scène d’André Téchiné, sobre et efficace, permet aux acteurs de déployer toute la démesure de leur talent. Mais plus qu’un film de personnages où l’image ne serait qu’illustrative, le cinéaste parvient à rendre son film oppressant en multipliant les plans serrés. Les décors et les cadres sont étouffants, tristes reflets d’une vie morose où la médiocrité s’est faite maîtresse. Loin de cette nature verdoyante qui inspirera bon nombre de ses grands films à venir (Ma saison préférée, Les Roseaux sauvages, Les Égarés), Rendez-Vous est un film urbain et froid où l’espoir ne s’incarne que dans les nouvelles armes que l’on se donne pour affronter la cruauté de l’existence.
En complément du film, nulle interview du réalisateur ou de son actrice principale qu’il retrouvera par ailleurs dans Alice et Martin en 1998. À leur place, Lambert Wilson s’explique sur son personnage, sur les répercussions de celui-ci sur les films auxquels il a participé les années suivantes. Finalement, n’en déplaise aux fans, l’acteur manque trop d’humilité pour aborder ce personnage avec la pertinence qu’une telle édition aurait exigée.
Pour se consoler de cette grosse déception, les éditions MK2 ont eu l’ingénieuse idée d’intégrer le moyen métrage La Matiouette, produit pour la télévision en 1983, et resté difficilement visible depuis. Le scénario, adapté d’une pièce de Jacques Nolot, oppose deux frères qui ne se sont pas vus depuis des années. L’un, devenu acteur, visite son frère, médiocre coiffeur d’un petit village du Sud-Ouest, tout ce qu’il y a de plus normalement raciste et homophobe (incarné par Jacques Nolot lui-même). Les retrouvailles, bien évidemment, ne se font pas sans heurts et deviennent rapidement prétexte à révéler tous les non-dits familiaux. En seulement 45 minutes, les révélations fusent avec une telle rapidité que le téléfilm prend rapidement des allures de ping-pong verbal, d’autant plus difficile à suivre que Jacques Nolot a un sacré accent. S’il faut reconnaître encore une fois un indéniable talent de directeur d’acteur au cinéaste, force est de constater que la mise en scène s’essouffle rapidement, la faute au lieu clos dans lequel reste confiné l’essentiel du moyen métrage. On sent le cinéaste frustré, à tel point qu’il ne peut s’empêcher d’ouvrir et de clore son film sur de longs et beaux travellings. À découvrir en tant que curiosité, notamment parce qu’il s’agit là du seul film d’André Téchiné réalisé en noir et blanc.