L’appétit des films « oscarisables » (c’est un genre en soi) pour les figures d’exception et les performances affectées est bien connu : comme attendu, The Danish Girl loge à cette enseigne. Avec ce biopic consacré au « premier transsexuel » (c’est important : c’est un pionnier avant toute chose), Tom Hooper revient à la veine lénifiante et corsetée du Discours d’un roi et bâtit son film autour d’Eddie Redmayne, drôle d’acteur mutant, qui pousse à son paroxysme le culte de la transformation propre à ce type de films. Son cas est plus curieux qu’il n’y parait : d’abord jeune premier insupportable (la mini-série Les Piliers de la terre), l’acteur s’est métamorphosé en caméléon androgyne au teint blanchâtre et au sourire monstrueux, susurrant d’une voix de velours ses complaintes. De film en film, on retrouve ce corps sans âge et asexué, toujours torturé (intérieurement ou physiquement), avec le sentiment de voir grandir une créature hybride relevant l’intérêt de films par ailleurs médiocres. C’est aussi une entité vampirique : dans The Danish Girl comme dans Une merveilleuse histoire du temps (pour lequel l’acteur a décroché l’Oscar du meilleur acteur), le jeu de Redmayne se déploie au contact d’un partenaire féminin qui le soutient et l’assiste, ici Alicia Vikander (révélée par un autre film endimanché, A Royal Affair). La délicatesse de ses traits et sa fraîcheur enjouée se marient plutôt bien à l’élasticité faciale et la fébrilité du jeu de Redmayne, qui forment tous deux un couple d’acteurs intriguant et, il faut accorder ce mérite à Hooper, plutôt réussi. C’est au début, lorsque leur complicité est à son zénith, que le film surprend un peu : l’affirmation de la féminité du héros masculin se fait sous la bienveillance et le concours de sa femme, dans une joie commune d’explorer des territoires interdits.
Sauf que le film s’attache moins à un sujet qu’il ne répond à un programme. C’était déjà le problème d’Une merveilleuse histoire du temps qui, derrière le récit de l’abnégation d’une femme soutenant sans faille son mari malade, racontait en sous-main, sans hélas pleinement l’assumer, une autre histoire autrement plus intéressante : celle d’un couple qui restait ensemble non pas par amour, mais par nécessité d’un côté (le malade) et sentiment de devoir de l’autre (sa femme). Le souci tient à ce que ces films célèbrent avant tout des hommes d’exception, et que l’exemplarité ne peut s’affirmer qu’au contact d’obstacles attendus (ici le conservatisme du corps médical, l’homophobie, etc.). C’est tout de même un comble : ce cinéma-là est fasciné par ce qui est différent, hors-normes, mais bride sans cesse tout ce qui pourrait l’éloigner d’un même chemin balisé, accepte le doute mais pas le détour. Sortir des carcans était pourtant possible, et le film désigne même des chemins de traverse empruntables : la femme au grand cœur est soumise à la tentation de l’adultère, la quête de son mari révèle un instant sa part inévitablement égoïste (le personnage est replié sur ses tourments intérieurs et draine l’énergie de sa compagne), mais Hooper n’ose jamais franchir complètement la barrière.